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Date de création : 11.03.2012
Dernière mise à jour : 30.04.2012
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Rapatriement vers Calcutta (II) Annexes

Publié le 13/03/2012 à 11:22 par govindin Tags : écriture des voyages
Rapatriement vers Calcutta (II) Annexes

 

III-Appendices

Nous livrons en annexe n° 1, l’extrait du rapport d’Amirauté « Tentative de révolte » ; et en annexe n° 2,  le texte intégral annoté de la nouvelle intitulée : « Mutins et coolies sur le Sparfel»

 

Annexe  n° 1 : Extrait du rapport d’Amirauté

 

Tentative de révolte

1 Cette première étude nous conduit à rechercher les causes, le commencement 2 et le développement de la révolte. Tout d’abord, il ne peut échapper que les

[éléments perturbateurs]

3 privations, dont les rapports fournissent le témoignage indirect, avaient dû

4 mécontenter les Indiens et produire quelque fermentation. D’après le

5 capitaine, quatre jours après le départ, un matelot, pendant le lavage, aurait 6 lancé un saut d’eau sur les Indiens groupés sur les drômes et les lisses. Cet

[péripéties]

7 acte inconvenant aurait valu à ce matelot d’être battu rudement par cinq ou 8 six Indiens. Le capitaine, voulant réprimer ce désordre, ne put réussir à faire 9 mettre aux fers les coupables soutenus par leurs compatriotes. Le médecin ne 10 mentionne pas cet incident : « Huit jours après le départ, dit-il, les matelots 11 étaient continuellement menacés ; tous les jours des querelles interminables 12 avaient lieu entre les Indiens eux-mêmes et aussi souvent entre ceux-ci et les 13 matelots qui ne les rudoyaient cependant pas. »

14 Il rapporte la tentative infructueuse du capitaine pour sévir contre les

15 fauteurs de trouble. Dépourvu de toute arme, et afin d’éviter une collision 16 qui fut devenue fatale à l’équipage, le capitaine n’insista point pour

17 l’arrestation de ces hommes « qui devinrent aussitôt d’une insolence

18 révoltante. » Le capitaine Lossieux croit à un complot, qui aurait été formé, 19 dès le départ de la Réunion, à l’instigation de malfaiteurs ayant subi des

20 condamnations graves dans la colonie et qui exerçaient une notable

21 influence sur les gens tranquilles.

22 M.Bouvet ne parle pas de complot ; le convoi renfermait des gens

23 indisciplinés, vicieux, déclarés libérés de prison, au dire des autres Indiens, 24 qui prétendaient avoir été volés à bord par ces turbulents (s’il est vrai que 25 quelques uns des Indiens fussent des libérés de prisons, il eût été utile que le 26 capitaine en fût informé officiellement avant le départ, au lieu de

27 l’apprendre accidentellement pendant le cours du voyage). Il écarte, comme 28 s’il l’avait soupçonné, le motif tiré de l’insuffisance de l’alimentation,

29 « puisqu’ils avaient à bord la nourriture qui leur était due.» Nous avons 30 démontré par des chiffres, qu’ils étaient loin de recevoir la ration

31 réglementaire. Toujours est-il que la police ne pouvait être maintenue dans 32 le convoi ; les matelots commencèrent à prendre peur ; « ils hésitèrent à se 33 rendre sur l’avant du navire pour les manœuvres de nuit. » C’est alors que

[résolutions]

34 le médecin se rendit, de nuit ; dans un canot armé de deux hommes, à bord 35 d’un navire anglais, et en obtint 2 mousquetons et leurs baïonnettes, 2

36  pistolets d’abordage,  1 revolver et 2 sabres. Quelques jours

37 après, un nouvel incident exige la mise aux fers de sept mauvais sujets ;

38 au milieu du tumulte, deux Indiens se font remarquer ; mais

39 un coup de pistolet, chargé à plomb, les blesse légèrement et tout rentre

40 dans l’ordre. Ainsi, on n’avait pas prévu les cas de révolte assez fréquents 41 pendant ces opérations de transport, et, sans le secours du bâtiment

42 anglais, il est fort probable que, les esprits s’exaltant pendant une traversée 43 si longue, le Sparfel fût devenu le théâtre d’un désastre dans lequel les

45 Européens devaient tous périr.

Annexe 2 : Texte intégral de la nouvelle

extrait du chant premier de la Tragédie d’Appassamy ou Récit d’un étonnant voyageur

« Mutins et Coolies sur le Sparfel »

[situation initiale]

L’horizon s’embrasa au moment où Surya l’astre érubescent et écarlate effleura la mer.  …Ballotté au gré des flots heurtant continuellement la coque, le trois-mâts poussif trébuchait dans la tourmente des alizés et peinait sous un ciel empourpré. Marchandise humaine entassée pêle-mêle dans la cale d’un voilier fac-similé des négriers, prostrés et liés aux caprices de l’équipage, nous dépendions hélas des aléas climatiques. Recroquevillé et confiné dans le faux-pont hâtivement construit, [je] <narration en focalisation interne et récit à la première personne> savourais cependant pleinement mon échappée de Birboon Desh ( l’Île Bourbon.) [Vagabonds, jeunes vieillards, mendiants teigneux dépenaillés, libérés de prison prompts à extorquer des fonds aux plus démunis, hommes floués car abusés des contrats perpétuellement renouvelés, et femmes intrigantes aux voix nasillardes caractérisaient la cohorte.] <visée référentielle sur la typologie des émigrants> Seules des familles arrivées au terme des contrats accompagnées de leurs enfants toujours émerveillés [des cordages de vergue et des haubans du voilier] <champ lexical de la navigation> contrastaient avec la vermine. La colonie s’empressait d’exsuder ses résidus.

Péniblement agrippé à l’espace résiduel octroyé par les installations précaires du bâtiment, je m’enfonçais inéluctablement vers une destinée crépusculaire. L’administration dédaigna affréter un steamer pour notre rapatriement. Des raisons ambiguës justifiaient ses atermoiements. Elle espérait en réalité freiner l’hémorragie du millier de laboureurs vers l’Inde,  évitant ainsi l’adjudication d’un quatrième convoi. En effet, le voilier nolisé le neuf mars mille huit cent soixante-sept pour nous transporter vers Karikal et Calcutta n’était malheureusement qu’un ancien bâtiment de guerre reconverti en navire de commerce. Ainsi, le Sparfel, barque du Port de Nantes, davantage goélette que galion bénéficiait à peine d’un tonnage jaugé à trois cent soixante-quinze tonneaux. Il supporta d’insignifiants aménagements et le Commandement maritime cautionna ses installations sommaires d’une superficie de deux cents mètres carrés dans l’entrepont. Une cargaison de trois cent neuf personnes dont une quarantaine d’enfants y logeait et l’encombrement réduisait l’espace vital bien en dessous d’un mètre cube.  Les planches brutes non rabotées et le plancher mal calfaté trahissaient l’appât du gain. L’armateur assimilait notre rapatriement à un convoyage de bétail. L’installation provisoire du faux-pont compromettait gravement les conditions d’une bonne traversée. La négligence totale dans le calfatage du pont amenait fréquemment à travers les joints béants, immondices et déjections vers la cale à approvisionnements. L’humiliation de l’équipage et les désagréments perpétuels affectèrent femmes et vieillards. Mes journées noires [figure de style : oxymore] tranchaient heureusement en soirées où groupé sur le pont, je chantais et dansais dans la pénombre avec la complicité d’un quinquet. Les ballades héroïques adoucissaient les supplices du voyage. Des poètes volubiles irisaient nos veillées festives de chants inédits élaborés dans les camps.  Mélopées et épopées sustentaient mon imaginaire puis étoffaient mes rêveries nocturnes. Mon esprit tourbillonnait à l’idée de côtoyer le pays des [héros du Mahabharata, Alvan Katapouli, Aldunin, Darlmèl et autres Pandévèls.] <visée ethnographique sur le  mythe oralisé des chants>

Deux cent dix lieux parcourus vers la cité des Dieux en une semaine de navigation. L’horizon confinait inlassablement mes pensées vers les vicissitudes quotidiennes. Le tangage infernal du Sparfel incommodant femmes et enfants provoquaient nausées et vomissements. Fièvres, froidures et dysenteries assaillaient sans répit les corps affaiblis. Ce seize mars, le capitaine ampute de son plein gré nos repas déjà incongrus et ses restrictions accentuent notre désespoir. Je doutais de l’opportunité et m’interrogeais sur la pertinence d’exhiber cette prérogative du rapatriement sur les voiliers délabrés ! Malgré marchandage et dédale de loi pour notre convoyage, les administrateurs tergiversaient au retour des engagés et y opposaient bien des refus. De connivence avec les planteurs ils cautionnaient l’escroquerie substituant la prime de réengagement aux frais de rapatriement ! Nous endurions les malversations. La désinvolture outrageuse de l’administration se répercutait dans l’armement même du Sparfel. [[Nos rations quotidiennes uniquement constituées de riz agrémentés des salaisons de morues et harengs fumés ou de légumineuses sont distribuées parcimonieusement en début et fin de journée.] <visée informative sur les rations alimentaires> Seuls des astucieux effrontés, des coquines éhontées et flagorneuses grappillent en catimini des bribes supplémentaires en contrepartie d’attitudes fort répréhensibles. Les simagrées ébranlaient lourdement la solidarité et lézardaient sensiblement l’homogénéité du groupe. Les plus scrupuleux et expérimentés nous avisèrent pourtant en aparté des déviances préjudiciables et établirent d’emblée les modalités d’une bonne conduite. De fait, [les six cent sept grammes de riz, ajoutés aux soixante-neuf grammes de poissons quotidiens complétés des deux litres d’eau potable] <visée informative sur les rations alimentaires> nourrissaient une insatisfaction permanente. La mesquinerie de l’équipage et son armement défectueux nous accablaient. Homme d’expérience de la marine marchande à ne pas en douter, mais tout à fait incompétent pour nous rapatrier, la silhouette dégingandée du capitaine Crassier intriguait.  Disproportionné de sa haute taille disgracieuse, il présentait une démarche disloquée. Son corps déglingué reflétait la déliquescence de ses mœurs ordurières. Individu décrépit, à l’image de son navire aux multiples endroits désagrégés et corrodés, n’acheminait-il pas notre convoi vers le chaos ? N’eût-il pas soudoyé une équipe de [contremaîtres] obséquieux et inféodés à ses lubies ! Une caste de [cultivateurs véllalins] <incises sémantiques antéposées au mot tamoul> occupant des fonctions de commandement et coupables de parjure ! Sycophantes assurant avec véhémence les consignes, la gent des [mestrys] poliçaient les porte-faix à leur guise. Assoiffée de pouvoir, cette hargne s’empressa d’assouvir la perversion des matelots en prostituant des adolescents. Ils apaisèrent les pulsions des satyres. A priori débonnaires et soumis nous opposâmes une réprobation farouche. Nous entretenions des suspicions envers ce simulacre de rapatriement entaché des méfaits nauséabonds. Certes, nous supportions les comportements puérils caractérisant l’équipage au départ des comptoirs. Incartades entre engagés et équipage, espiègleries vénielles et gestes outrés alimentaient méfiance et bisbilles mais jamais d’animosité. Sur le Sparfel par contre l’immoralité et la brutalité de l’équipage entretenaient sa bestialité. Mais rationnements en eau et nourriture, vexations et rapts nocturnes ne se résolurent point en palabres oiseuses. »

 

Médecin du gouvernement français, [je] <mise en voix du récit et changement d’énonciation> consultais régulièrement aux Archives Navales les rapports médicaux et les livres de bord des capitaines. Ces lectures confortèrent mes présomptions sur la machination de certains officiers à conjurer le sort des émigrants ! Sinon comment expliquer la sordide aventure ? Des précipitations regrettables dans l’organisation du convoi, l’inexpérience et le laxisme du jeune médecin mésusant et ignorant même les ordres de service et les instructions médicales !

« Portulans et Instructions nautiques » énoncent clairement mille deux cents lieux marins, la route de Boscawen, le trajet des Îles Mascareignes vers le golfe du Bengale qu’empruntait le Sparfel. Cet itinéraire traverse notamment les Îles Maldives d’ouest en est, et recommande expressément aux armements un approvisionnement de quarante-cinq jours en ravitaillement.  La réalité diffère monstrueusement sur le Sparfel. Le capitaine comptant sur une traversée de vingt-sept jours n’embarque pour les passagers que trente-quatre jours de riz et bien moindre de légumineuses et poissons.

Le convoi atteignit Calcutta le premier mai mille huit cent soixante-sept, après cinquante-deux jours de navigation. Le calcul du capitaine témoignait du dessein réfléchi de commettre l’irréparable, l’inanition des engagés.

Quelles motivations poussèrent réellement le capitaine à rapatrier ce convoi ? L’appât du gain et la haine des sujets indiens m’autorisèrent à présager une offrande maléfique : des coolies en pâture aux squales ! D’ailleurs les défauts dans l’aménagement de l’entrepont m’incitèrent sincèrement à confirmer des soupçons d’asphyxie.

L’absence de calfatage du faux-pont favorisait l’émanation d’exhalaisons fort incommodantes. Les vapeurs délétères résultaient  des restes d’un chargement de guano en putréfaction. L’insuffisance de fumigation à la chlorure et les défauts dans le blanchissage de la cale à la chaux, associés de surcroît aux immondices et marchandises putrides compromirent les chances d’une évasion de ce bourbier. Entrepont exigu, humide, confiné et vicié, il n'agglutinait pas moins de trois cent neuf personnes exposées à une négligence fatale !

 

Le vieil homme haletait. Expectorations et balbutiements scandaient son élocution. Après un moment de répit et quelques hésitations, il poursuivait son récit.

« Vers la troisième semaine, aux abords des latitudes équatoriales, [le vent du grand large porta des bourrasques et projeta des éclaboussures d’embruns sur le voilier. Des gerbes d’eau arc-en-ciel s’envolaient de la crête frangée des vagues. L’écume blanchâtre s’éparpillait à la surface de la mer puis s’échouait contre l’étrave du navire.] <enjeu symbolique de la description de l’espace maritime> L’abondance de pluies et de bruines exposèrent les plus robustes d’entre nous aux affections bronchiques qui s’accompagnaient d’incessants crachements. Les soubresauts climatiques nous contraignirent à demeurer cloîtrer dans le faux-pont. Les plus faibles, en majorité des Calcuttas atteints de la maladie de la vieillesse étaient repoussés par l’exiguïté de l’entrepont. Ils tentèrent vainement de se protéger des intempéries et engelures et s’abritèrent sur le pont. Les plus chanceux importunés par les bêtes, cabris, porcs, moutons et volailles supportaient cependant le fatras de l’entrepont et ses multiples désagréments. Le vacarme de ces pauvres créatures : bêlements, grognements, gloussements, et leurs déjections puantes inondaient ces lieux résiduels. L’accumulation des balles de riz entreposées ça et là contractaient un peu plus le faux-pont. Le capitaine refusait d’abattre ces animaux et rechignait à

[éléments perturbateurs]

améliorer nos rations azotées. Pire, il ne sert qu’un repas vers quatorze heures. Les plus vaillants d’entre nous vociférèrent et réitérèrent des griefs en vain. Un mois après le départ, l’incident éclata.

1 [Abandonnés à l’oisiveté sur le pont et groupés sur les dômes et les lisses,

2 nous reçûmes en plein visage un sceau provenant du lavage des bastingages.

[péripéties]

3 Cette méprise entraîna une correction immédiate. S’arc-boutant sur des

4 discriminations répétées, notre colère fut irrépressible. Le matelot incriminé 5 subit les assauts d’une faction de cinq à six parias qui le rudoyèrent sans état 6 d’âme. Le raffut fut incontrôlable ! Le capitaine désemparé face au mutisme 7 et à la complicité des rebelles ne put identifier et punir les coupables de

8 l’escarmouche. Parias, nous contestions dès le départ la charge pesante sur

9 notre groupe. Les démêlés au sujet des corvées de salubrité et les querelles 10 incessantes portaient une lourde menace à la stabilité du convoi. Tâcherons 11 nous nous rebiffâmes et contestâmes la suprématie des mestrys. Race

12 d’homme jalousée à cause de leur puissance et prérogative mais haïe, ils

13 abusaient outrageusement de leur statut bâti strictement sur des

14 considérations sociales. Ces loups-cerviers occupaient ainsi une position

15 privilégiée et soutiraient régulièrement des gratifications pour leur service 16 et délation. Outre les doubles rations, ils percevaient tabac et alcool  en

17 supplément ! Mutins et réagissant aux vilenies de l’équipage, notre

18 opiniâtreté ralliâmes après maintes tergiversations le quarteron des mestrys 19 à l’insurrection. L’enjeu visait précisément le respect des mesures édictées 20 par les concordats internationaux. Nous exigions l’amélioration de nos

21 conditions de vie sur ce bâtiment délabré !

22 Insurgés nous pesâmes intimidations et menaces sur l’équipage. Le

23 capitaine feignit se plier à nos revendications. Il améliora les rations

24 alimentaires. Nous exigeâmes de la viande fraîche, puisque le bétail

25 considérable et varié  encombrait. Nous insistâmes sur la distribution des

26 deux repas quotidiens. Nous souhaitâmes moins d’encombrement et plus de 27 propreté. Nous demandâmes une répartition des corvées étendues à

28 l’ensemble du convoi et non plus assignées exclusivement à la plèbe. Nous 29 palliâmes l’absence de lits en récupérant des couvertures en laine, espérant 30 ainsi atténuer l’inconfort des planches et les rigueurs du froid sur le pont.

31 Enfin nous veillâmes plus tardivement en soirées afin de célébrer nos

32 mânes, poètes et héros légendaires pour qu’ils soulagent nos tourments et    33 déjouent l’infortune sur ce rafiot. D’aucuns impatients et désinvoltes

34 témoignèrent dans leur frasque des signes d’insubordination. Ils sacrifièrent 35 coqs, cabris et verrats puis investirent les cuisines sur le pont. Révoltés

36 depuis une dizaine de jours, la mine enjouée nous puisions abondamment 37 dans les réserves et nous nous sustentions. Les stocks d’arack s’évaporèrent 38 en entretenant hardiesse et hilarité. Imbu de tafia, une volupté s’exhalait de 39 mon corps repu. Le visage replet, l’esprit débridé exultant et pétulant, je me 40 targuais de cette aventure inédite et impromptue. Nos conduites

41 intempestives cantonnèrent l’équipage dans le grand gaillard. Défiance et 42 suspicions sous-tendaient les relations. Le capitaine tenta infructueusement 43 d’identifier les meneurs et fauteurs de trouble. Il se présenta accompagné de 44 son équipage, soit une douzaine de personnes pour contrecarrer nos projets 45 en vain. Même les nuits, les matelots n’osaient s’aventurer pour manœuvrer 46 au-delà de la rambarde de peur d’être frappés. Des menaces réelles pesaient 47 sur la bonne marche du voilier. Équipage et convoi risquaient à tout

48 moment de subir un désastre. Tous les Européens périraient, et le Sparfel

49 s’apprêterait sûrement à nous engluer dans cet océan abyssal.

[résolutions]

50 Aux Îles Maldives à la cinquième semaine, le capitaine tenta un

51 subterfuge pour reconquérir la maîtrise absolue du voilier. Apercevant et se 52 rapprochant d’un navire anglais, le médecin Bouvet accompagné d’un

53 officier et d’un matelot s’y rendent subrepticement la nuit. Après les

54 pourparlers ils s’en retournent armés et satisfaits. Ils exposent leur butin  au 55 capitaine : mousquetons, baïonnettes, pistolets d’abordage, revolvers et

56 sabres. Ravis et confiants, ils projettent immédiatement de mater la

57 rébellion et de châtier les révoltés du Sparfel. Prétextant une sordide affaire 58 de mœurs entre prostituées et matelots, l’équipage nous apostrophe. Une

59 rixe éclate. Dans le tumulte, des coups de feu chargés de plomb blessent

60 légèrement plusieurs mutins. Deux coolies en vigie sur le passavant sont

61 touchés gravement. Terrorisés par la dangerosité des armes, pusillanimes

62 nous nous replions. Le capitaine estoque la rébellion et nous enchaîne.] <mise en récit des évènements liés à la révolte en utilisant un schéma quinaire>

[situation finale]

A deux semaines de notre arrivée au Coromandel, l’équipage reprit intégralement son emprise sur le convoi. Enhardi et vindicatif, le briscard exerça à son gré récriminations et ostracisme à l’égard des contestataires parias. Que des matelots se rebiffent demeurait certes vraisemblable ! Mais qu’une bande de va-nu-pieds outre-passent ses prérogatives assignées et refusent soumission et discipline, quelle incongruité ! Aussi les réserves alimentaires étaient bien entamées. La seule distribution diurne et parcimonieuse de riz arrosée d’un bouillon de bœuf en conserve n’atténuait même plus la faim des enfants. Que dire alors des adultes rassasiés des restes avariés d’[avèl, ce riz étuvé, séché]<incise sémantique postposée au mot tamoul> et vermoulu datant de mathusalem dont l’intégrité n’inspirait plus confiance !

Se substituant aux réjouissances, les disettes imposées au convoi exsangue répercutèrent sur notre état médical.

Les seins flétris des jeunes mères ne gorgeaient plus les tétées goulues des nourrissons. Les orbites creuses des vieillards témoignaient d’une carence nutritionnelle aiguë et annonçaient l’imminence d’apoplexie.

Au passage de l’extrême sud-est de la péninsule indienne, le quarante-deuxième jour du voyage, posé sur l’océan le Cap Comorin semblait un sémaphore. Le géant de granit s’efforçait-il de nous libérer de ce carcan infernal ? Une vision fantasmatique me fit miroiter des lueurs d’espoir. Nous atterrâmes Karikal le vingt-sept avril. Nous déplorions deux décès intentionnels et une fièvre récurrente affectant une quarantaine de rescapés au débarquement. Sans notre aventure équatoriale, le bilan médical en serait catastrophique ! Dès le lendemain le Sparfel largua les amarres. Il retint dans ses entrailles, Khaderbux mon frère de labeur et une douzaine d’émigrants qui embarquèrent à Calcutta en mille huit cent soixante. La goélette s’apprêtait promptement à régurgiter le fiel coolie dans le golfe du Bengale…

« -En dépit des secours réclamés, infirmes, nos camarades regagnèrent difficilement leurs villages fort éloignés à l’intérieur des terres ! » avouait [Appassamy] <narrateur 1> en me livrant ses confidences désabusées sur l’avenir de tous les rapatriés. [Khaderbux] <narrateur 2> attentif au récit et témoin des péripéties confirmait les réminiscences du moribond :

« -Aussitôt débarqués, les infirmes se livraient immédiatement à la mendicité ! »

L’ami coolie prolongeait l’odyssée d’une verve non moins diserte. [narrataire : chirurgien navigant] < étagement énonciatif d’un chant polyphonique>

 

IV-Lexique

­Amplification : développement d’une idée par le style, qui lui donne plus de richesse et de force.

-Compendium : condensé, abrégé.

-Générique : la classification générique a trait à l’intertextualité, et consiste à déterminer les relations que les œuvres entretiennent entre elles.

-Gnomique (présent) : se dit d’une forme verbale (temps, mode) qui sert à exprimer une idée générale.

-Epistémé : configuration du savoir rendant possibles les différentes formes de science à une époque donnée.

-Esthétiser : poétiser, embellir, idéaliser.

-Herméneutique : activité qui pour objet l’interprétation des textes, des phénomènes considérés en tant que signes.

-Heuristique : tâche prioritaire pour l’historien qui consiste à inventorier les matériaux disponibles.

-Homodiégétique : le narrateur est un personnage du récit.

-Introspection : « regarder l’intérieur » ; observation d’une conscience individuelle par elle-même.

-Mémoire : « elle est portée par les groupes vivants et, à ce titre, elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de l’amnésie, inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à toutes les utilisations et manipulations, susceptible de longues latences et de soudaines revitalisations », d’après Pierre Nora.

-Méthode heuristique :  qui favorise la découverte de faits de théories ; histoire, relatif à la collecte des documents.

-Monodie (épistolaire) : écriture mélodique ne comprenant qu’une seule voix vs choral.

-Pantomime : art d’exprimer des sentiments, des idées, par des attitudes, des gestes sans paroles.

-Testimonial : fondé sur des témoignages.

-Utopie : toute idée, tout projet considéré comme irréalisable, chimérique.

-Viatique : argent, provisions que l’on donne pour faire un voyage.

 

 

V-Bibliographie

Histoire

Thèses, relations médicales, décret,  instructions, traités d’adjudication

-G.M.A. ADOLPHE, 1871, Considérations hygiéniques et médicales sur le transport des immigrants indiens. Montpellier

-A.G.M. ALLANIC, 1871, Transport des immigrants indiens. Considérations hygiéniques et médicales.Thèse soutenue à la Faculté de Montpellier, le 27 novembre 1871, 64 p.

-AURILLAC, « Rapport médical du British Navy de Calcutta vers Fort-de-France, en 1874 ». Service historique de la marine à Vincennes.

-A.COUSTAN, 1867, Hygiène d’un convoi d’immigrants indiens au lazaret de l’île Bourbon. Thèse de médecine, Montpellier.

Décrets, Arrêtés et Instructions (concernant l’immigration des travailleurs aux colonies, les engagements de travail et la police de vagabondage). Typ. De Lahuppe, 1852, 55 p.

-FLACOURT, 1907, Traité de gré à gré, réglant les conditions de rapatriement d’immigrants, en 1907, par la Compagnie des Messageries Maritimes.Service de l’immigration, Saint-Denis.

-Gouvernor Général of India (1871)-The Indian Emigration Act. Act n°VII of 1871, pp.1-32, three schedule, p.33-40. Office supt.Govt.Printing, n°8517 L/C/17/3.

-C.LAGRANGE, 1862, Cahier des charges pour l’introduction à la Réunion, des contingents de travailleurs indiens à engager à Pondichéry et à karikal en vertu de la convention internationale du 10 août 1861, Saint-Denis,  Lahuppe, G., 8 p.

-LECLERC, Chirurgien de première classe, délégué du gouvernement, « Immigration indienne », sur le transport de 429 Indiens de Pondichéry vers la Martinique par le navire le Siam, extrait de la Revue Algérienne et Coloniale, mars 1860, Paris, 20 p.

-LOUGNON, 1891, Cahier des charges et conditions particulières au transport à Pondichéry d’un convoi de trois cent cinquante immigrants indien environ à rapatrier. Service de l’immigration. Saint-Denis, Ile de la Réunion. Lahuppe, G., 8 p.

-Ministère de la Marine et des Colonies (1865), -Instructions pour les chirurgiens de la marine, délégués du gouvernement sur les navires affectés au transport d’immigrants dans les colonies françaises, 5 p.

-Ordre de service pour le transport d’un convoi d’émigrants indiens. Imprimerie Impériale, 7 p.-M.J., PLOMB, « Rapport médical sur un voyage de rapatriement d’Indiens des Antilles Françaises à Pondichéry, en 1865. » Service historique de la marine à Vincennes.

-E.ROUBAUD, 1868, Voyage d’émigrants indiens. Relation médicale effectuée de Pondichéry à la Pointe-à-Pitre, sur le navire la Thérésa. Extraits des Archives de médecine navale, tome IX, mai et juin.

-M.VEZIER, 1982, Les chirurgiens navigans français de l’émigration indienne au XIXè siècle vers les Mascareignes et les Antilles. Thèse de médecine. 1982, Nantes, 286 p.

 

Etudes historiques

-Piet, C., EMMER, « Les navires de coolies. Le transport de travailleurs engagés entre Calcutta et Paramaribo, 1873-1921 », dans, Histoire d’Outre-Mer, Mélange en l’honneur de Jean-Louis Miège, Université de Provence, tome 2, Aix-en-Provence, 1992, p.657-675.

-Sully, Santa, GOVINDIN, « Les retours : convois lugubres et désillusions », p.133-141, dans, Les engagés indiens, Ile de La Réunion, XIXè siècle, Azalées éditions,  Saint-Denis, 1994, 191 p. ; -‘Historiographie des convoyages d’engagés indiens : sources imprimées, manuscrites et multimedia’ dans, « Historical study and audio-visual aids : On the repatriation of engaged indians in the Indian Ocean, and the example of the Sparfel, a convoy of coolies from Reunion island towards Calcutta in 1867”, in, Histories from the sea, multimedia for understanding and teaching Europe-South Asia maritime heritage, International Conference 30-31 january 2007, India International Centre, organised by Centre for French and Francophone Studies Jawaharlal Nehru University, Delhi ; -« Migrations et identités indiennes avec le navire Saint-Bernard : Premier convoi d’engagés émigrant de Calcutta vers La Réunion en 1860 », Grand Séminaire des Géographes et des Historiens, Université de La Réunion, octobre 2009, Saint-Denis, 11 pages.

-Firmin, LACPATIA, « Tableaux statistiques n°VI et VII » p.86-87-89, dans, Les Indiens de la Réunion : -Origine et recrutement, tome 1, 1982, 104 p. ; « Etat des Indiens de 1828 à 1848 », p.81-82, dans, -La vie sociale, tome 2, 1983, Saint-Denis, NID.

-SINGARAVELOU, « Les rapatriements », p.57-60, dans, Les Indiens de la Guadeloupe, imprimerie Deniaud, 1975, 239 p.

-Michèle, MARIMOUTOU-OBERLE, « Se faire rapatrier », p.125-130, dans, -Les engagés du sucre, collection 20 désanm, Océan Edition, Saint-André 1999, 166 p.

-Gilbert, Krishna, PONAMA, « Etat sanitaire d’un convoi d’émigrants de l’Inde vers la Guadeloupe », dans, Revue Carbet, n° 9, décembre 1989, p.59-67.

-Jacques, WEBER, « La vie quotidienne à bord des « coolies ships » à destination des Antilles. Traite des Noirs et « coolie trade » : la traversée », dans, Les Indes antillaises : présence et situation des communautés indiennes en milieu caribéen, Touson Roger (ed.)., L’Harmattan, Paris, 1994.

 

Littérature

-Joel, BENJAMIN, Laksmi KALICHARN, Ian, MACDONALD & Lloyd, SEAWAR (Eds), They came in ships : An anthology of Indo- Guyanese Prose and Poetry, Ledds : Peepal Tree Press, 1998.

-Véronique, BRAGUARD, -« Terre Mer : quand la traversée des eaux noires devient mer(e) originale. L’odyssée poétique des écrivaines indo-Caribéennes ». Notre Librairie : Revue des littératures du sud (N° 136, janvier-avril 1999), p.110-123 ; -« Massalification poétiques : quand Khal Torabully chante les mots/maux de la traversée », dans, Actes du Colloque, les discours francophone(s) sur l’Océan Indien, (Ile Maurice) à paraître.

-Sully, Santa, GOVINDIN, -La tragédie d’Appassamy ou Récit d’un étonnant voyageur, épopée en douze chants, Editions le Germ, Chennaï  2007, 120 p.

-Ecriture de fiction, Ecriture du voyage,Université de Picardie - Jules Verne, Centre d'Etudes du Roman et du Romanesque, DRAC, 5, rue H. Daussy, Amiens en partenariat avec Centre de Recherche sur la Littérature des Voyages (C.R.L.V.) Les 2 et 3 décembre 1999, à l'Université de Picardie - Jules Verne Organisateurs: M.C. GOMEZ-GERAUD et Ph. ANTOINE. Actes publiés aux Presses de l'Université de Paris-Sorbonne (2001).

-Sophie LINON-CHIPON, Gallia orientalis.Voyages aux Indes orientales (1529-1722). Poétique et imaginaire d'un genre littéraire en formation.

-Miroirs de textes. Récits de voyage et intertextualité,Actes du 11e colloque international du Centre de Recherche sur la Littérature des Voyages, 1998, Nice. Études réunies et présentées par Sophie LINON-CHINON, Véronique MAGRI-MOURGUES et Sarga MOUSSA. Nice, Publications de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines, 1998, 407 p.

-François, MOUREAU, -« La littérature des voyages maritimes, du classicisme au Lumières », Revue d’Histoire maritime, numéro spécial : « La percée d l’Europe sur les océans, vers 1690-vers 1790 », 1ère année, n°1, octobre 1997,  p.243-264 ; -éd., Métamorphose du récit de voyages, Paris-Genève, Champion-Slatkine, 1986.