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Date de création : 11.03.2012
Dernière mise à jour :
30.04.2012
12 articles
Dr.GOVINDIN Sully Santa
Historien
« Mutins et coolies sur le Sparfel » :
Un convoi de rapatriement de La Réunion
vers Calcutta en 1867.
Ecrire le récit des migrants dans l’Océan indien
ou l’Histoire et la Mémoire
dans les représentations du passé
Résumé
Cette étude exhibe la fonction épistémique dans la réalisation d’un projet d’esthétisation de la mémoire. Authentifiés par l’histoire, les récits migratoires des îles de l’Océan indien vers l’Inde se prêtent ainsi plus aisément à une entreprise fictionnelle qui exhume de surcroît des faits inédits. Notre démarche conjugue la cognition et la représentation. L’analyse critique d’un rapport d’une Commission Supérieure d’Immigration sous-tend une écriture romancée spécifique au genre des littératures de voyage. Nous proposons ainsi de montrer la genèse d’un récit maritime lié au convoyage de coolies. L’étude historique précède ici l’imaginaire lequel se substitue au discours. La trame est originale : une « mutinerie » d’engagés indiens à l’occasion d’un rapatriement effectué à partir de la Réunion vers Calcutta en 1867 via l’Archipel des Maldives est mise en intrigue par l’artifice langagier et littéraire. In fine, le récit de voyage relatant le retour des immigrants vers la mater indica poétise et relaye ainsi un fragment mémoriel de l’engagisme.
Introduction
La thématique des convoyages sur les anciens négriers précipitamment aménagés par les armateurs afin de répondre aux appels d’offres de l’administration constitue un aspect méconnu de l’histoire des déplacements de population dans l’Océan indien. Les migrations indiennes durant le XIXe siècle se sont étalées sur un peu moins d’un siècle entre les voyages aller mieux connus à vrai dire de l’Inde vers les espaces insulaires que les rapatriements en direction des comptoirs de débarquement sur le Golfe du Bengale. Les recherches sont rares dans ce domaine et notre travail arrime la mémoire à l’histoire érudite. Nous nous interrogeons sur les modalités génériques, l’essai historique et la littérature de voyage, pour faire œuvre de passeur de mémoire et créer les conditions satisfaisantes de sa réception même.
Notre approche est ambitieuse mais elle n’est pas inédite car l’élaboration et l’utilisation de matériaux historiques ont déjà fait l’objet de transposition dans le domaine littéraire. Firmin Lacpatia auteur d’une trilogie sur les Indiens de la Réunion s’est lancé dans le genre fictionnel en publiant un roman historique intitulé : Boadour
. Aucun exemple nous est fournit cependant sur les rapatriements d’indiens au retour de la Réunion vers l’Inde et ni même des autres espaces insulaires francophones et anglophones vers le sub-continent. On peut ainsi déplorer l’absence du rôle palliatif des romanciers relatif à cette thématique des convoyages vers les ports d’embarquement et les centres de recrutement en Inde. L’imaginaire et sa fiction enjoliveuse ne se sont point emparés de ces tragédies humaines du XIXe siècle, et cette carence sur les transports humains et maritimes se justifie assurément par la rareté de ses sources. Cependant notre démarche est originale car nous présentons d’abord un usage du passé en ce milieu du XIXe siècle : un rapport d’amirauté lequel nous soumettons à l’analyse afin d’y apporter des éclairages historiques. Cette étude préliminaire nous permet ainsi de mieux cerner les conditions de navigation dans l’aire de l’Océan indien, et en corollaire nous autorise à expliciter une stratégie d’écriture. Nous préciserons alors les choix linguistiques et littéraires en vue d’une configuration fictionnelle qui transpose le matériau historique en un récit dans le temps présent. La pertinence de notre procédure relève précisément de la conjugaison de méthodes complémentaires afin d’éclairer la mémoire de l’engagisme appréhendée ainsi selon deux horizons convergents afférents à l’histoire et à la littérature.
Nous présentons un document historique inédit : un rapport d’une Commission Supérieure d’Immigration, en 1867, que nous soumettons à l’analyse critique. Nous nous interrogerons plus précisément sur le Sparfel, un convoi de rapatriement. Illustre-il la singularité d’un convoyage d’engagés ou confirme-t-il plus communément des mésaventures récurrentes restées confidentielles ?
Méthodologie
La compilation est une méthode heuristique, et la prospection des différents témoignages permet de mieux appréhender la vérité du fait historique. Le compendium des voyages maritimes ne constitue pas une spécificité mais bien un ensemble de documents hétérogènes : journaux de bord au jour le jour sobres ou truffés d’indications sur les itinéraires, les climats, les espaces visités ; les rapports médicaux ; les listes nominatives ; les textes officiels et réglementaires ; les correspondances et les réclamations ; les mémoires d’amirauté ; les traités d’adjudication pour les transports des immigrants etc. La démarche historique exige de tester la véracité des témoignages en confrontant les auteurs et les documents afin de cerner la réalité des faits avec le maximum de rigueur. L’historien reconstruit ainsi les évènements en scrutant les sources, et en privilégiant exclusivement les témoins représentatifs.
Le chercheur prête ainsi une attention sourcilleuse au regard neuf et aux témoins crédibles. Il privilégie ainsi les relateurs de mémoires bruts et surchargés de faits et les différencie des narrateurs de la fiction. Sa rigueur exige de démasquer les simulateurs qui défigurent les journaux de bord des capitaines et des médecins.
Dans une phase d’étude préalable, nous dévoilerons l’existence du document historique en réalisant successivement : L’identification, l’inventaire et l’analyse du contenu ; et nous dégagerons ensuite ses enjeux.
Identification
Notre document s’intitule « Avis de la Commission d’Immigration » . Il relate les conditions dans lesquelles s’est effectué le rapatriement de 309 immigrants Indiens de La Réunion vers Calcutta, sur le Sparfel, le 8 mars 1867. C’est un rapport d’amirauté signé par trois membres de la Commission Supérieure d’Immigration, dont une des signatures porte le nom De Jonquières. Il mentionne l’entête du Ministère de la Marine et des colonies, et date de novembre 1867, soit six mois et demi après le convoyage d’Indiens de La Réunion vers l’Inde. Il s’agit d’un texte fonctionnel censé représenter un point de vue objectif sur l’événement. Il est rédigé à partir de deux rapports obligatoires censurés ou pas par des officiers et qui constituent en réalité deux instruments de contrôle pour le ministère. Les mémoires préalables qui sous-tendent le rapport d’amirauté sont constitués d’un journal de bord du capitaine et le rapport médical du médecin du cadre colonial faisant fonction de médecin délégué du gouvernement. Le système d’écriture du rapport d’amirauté se distingue par un énonciateur ni témoin et ni acteur, éloigné de l’événement relaté et écrit à la troisième personne voire à la forme impersonnelle du singulier. Par contre les deux témoins acteurs de choix du fait de leurs traces psychologiques inédites nous livrent des informations complémentaires sur les conditions de navigation et l’état sanitaire de l’équipage. Ces données de qualité sont ainsi restituées dans le rapport d’amirauté et résultent de la confrontation de plusieurs points de vue sur le rapatriement d’engagés. A vrai dire il s’agit d’évènements sensibles situés au cœur même des dissensions et des conflits diplomatiques entre les deux grandes puissances coloniales en Océan indien, le Royaume Uni et la France, moins d’une vingtaine d’années seulement après l’abolition de l’esclavage à la Réunion en 1848, mais à peine six années après la convention franco-anglaise de 1861 sur l’émigration des travailleurs indiens vers les colonies françaises.
Contenu
Ce rapport se présente en plusieurs parties lesquelles nous informent successivement de l’aménagement du bâtiment et des conditions hygiéniques ; des rations alimentaires au regard de l’itinéraire et de la réglementation ; de la tentative de révolte des engagés rapatriés à bord du Sparfel ; et de l’épidémie qui s’est déclarée à bord. Il se termine par des recommandations d’afin d’améliorer les conditions de transports des travailleurs au retour dans l’Inde.
Le 8 mars 1867, le Sparfel, trois mâts et barque du port de Nantes, jaugé à 375 tonneaux, du capitaine Lossieux est nolisé pour transporter, de La Réunion à Calcutta, 309 Indiens arrivés au terme de leur engagement dans la colonie française. Le 9 mars, à 7 heures du matin, il est sous voiles. Le convoi se compose de 229 hommes, 42 femmes, et 38 enfants de quelques mois à 15 ans, soit 309 passagers ; mais admettant, au point de vue de l’approvisionnement des vivres, que de ces 38 enfants, 26 soient considérés comme non adultes comptant pour 13 adultes, et 12 enfants en bas âge, équivalent à 4 adultes, le convoi se réduit à 288 passagers effectifs. Du 9 mars au 1er mai, la traversée a duré 52 jours. Elle est considérée comme fort longue et elle a été marquée par une tentative de révolte. Pour cette raison la Commission Supérieure d’Immigration examine les rapports du capitaine Lossieux et du médecin de 2e classe Bouvet.
Les conditions hygiéniques
Un faux-pont provisoire de 205 m2 hâtivement installé en 24 heures de surcroît non calfaté avec des planches non rabotées n’offrait pas les conditions de salubrité et d’hygiène. Les immondices et les déjections des enfants pénétraient dans la cale. On avait négligé la réalisation d’une claire-voie pour la séparation des hommes et les femmes et enfants pendant les nuits. Promiscuité et exiguïté compromettaient les chances de survie car le médecin évalue à un mètre cube la surface réservée au passager au lieu des deux mètres cubes exigés par la convention.
L’alimentation et l’itinéraire
Le décret du 27 mars 1852 fixe la ration alimentaire de l’émigrant. Sur le Sparfel les provisions en eau et nourriture ont été arbitrairement diminuées. Le médecin supprime ainsi un repas alors que le décret fixe les heures de repas à 9h et à 16h. L’approvisionnement est calculé pour 45 à 43 jours d’alimentation.
Les Commissaires supposent que le Sparfelcomptait sur une traversée de 26 à 27 jours. En tenant compte des instructions nautiques, aucune traversée des îles Mascareignes au Golfe du Bengale correspond à cette durée. Le Sparfel semble avoir suivi la route dite de « Boscawen » suivant en cela les instructions nautiques d’ « Horsburgh ». Il aurait traversé ainsi l’Archipel des Maldives par le Canal Adou-matis. Cette trajectoire correspond à 1200 lieues, et le capitaine devait aux termes de ce décret compter sur 40 jours de mer et par conséquent s’approvisionner pour 45 jours.
La tentative de révolte
Elle est motivée essentiellement par les privations dont les rapports fournissent les témoignages indirects. Pire, le rapport médical omet les incidents. Nous apprenons dans le rapport du capitaine qu’un matelot aurait agressé les Indiens, alors que le médecin ne mentionne qu’une menace continuelle exercée par les Indiens. Cependant, le capitaine écarte le motif de l’insuffisance d’alimentation et attribue à la présence de libérés de prison l’existence d’un complot fomenté par les fauteurs de trouble indisciplinés. Seule la mise aux fers de sept mauvais sujets et les blessures affligées par des pistolets ramène le calme.
L’épidémie
39 personnes ont été frappées par la fièvre récurrente et deux émigrants sont morts. Les Commissaires soupçonnent les véritables causes dans les insuffisances de l’alimentation et les privations de toutes sortes dont furent victimes les Indiens.
Analyse
Ce document rend compte d’une opération défectueuse de transport d’engagés indiens. Ce rapport officiel évalue ainsi les agissements d’un équipage irresponsable au regard de la législation. Le commandement du Sparfel n’a pas respecté le décret de 1864 qui obligeait les navires de rapatriement à posséder les mêmes aménagements que ceux de l’aller. Il en résulte des inconvénients sur les conditions hygiéniques fort préjudiciables aux voyageurs. Le choix des rations alimentaires aussi ne respectent point les taux réglementaires car elles sont diminuées voire pires puisqu’un deuxième repas est même supprimé. Il en résulte un climat de suspicion et de mécontentement de la part des rapatriés. Aussi les défauts de l’armement sont minorés par le chirurgien lequel reporte la responsabilité de la révolte sur le statut même d’Indiens condamnés libérés et expulsés de la Réunion. Lucides et objectifs du fait de leur expérience et de leur fonction même, les hauts fonctionnaires rétablissent une vision objective des évènements relatés partialement par l’un des témoins, un simple médecin faisant fonction de Délégué du Gouvernement, le chirurgien Bouvet. L’analyse de l’épidémie effectuée par le médecin colonial est contredite par les Commissaires puisqu’ils imputent les mauvaises conditions hygiéniques et l’épidémie à la privation de toute sorte et à l’insuffisance alimentaire. Ces officiers constatent le non-respect de la réglementation, une pratique semble-il communément répandue parmi les navires de rapatriement. Ces officiers déplorent de surcroît l’absence de rapports et documents administratifs venant en principe de la colonie de La Réunion. Ils émettent donc des recommandations auprès du gouvernement de la marine interpellé par les incidents diplomatiques causés par les plaintes réitérées des rapatriés auprès des Agents consulaires en Inde. Le ministre espère bien atténuer les rivalités franco-anglaises, exacerbées il est vrai par les attitudes irresponsables d’armateurs et de marins peu scrupuleux : mais dans quelle mesure ne faut-il point évoquer la duplicité d’une administration coloniale ?
La rédaction de ce rapport nous amène à nous interroger sur sa portée et les influences qu’il exerça quant à la suite des évènements : tensions diplomatiques annoncées et craintes émises sur la suspension de l’émigration indienne. Les espoirs formulés par les recommandations des Commissaires quant au respect de la réglementation ne sont guère réalisés. Sur d’autres convois postérieurs nous notons ainsi une mortalité excessive : Convoi de rapatriement de la Rose avec 13 morts en 1873. Certains convois présentent malheureusement des conditions quasi identiques aux anciens négriers hâtivement aménagés et ne respectant point les améliorations des conditions de transport. Les mesures législatives sont pourtant inscrites dans les articles 14 et 15 de la convention. Aussi la lecture du rapport : « Avis de la Commission Supérieure d’Immigration » confirme bien l’existence de « ..cas de révoltes assez fréquents pendant ces opérations de transport… »
Ce document nous permet ainsi de mieux saisir les craintes des Commissaires vis à vis de l’Administration et des difficultés sérieuses ou tout du moins des graves désagréments que lui imposent les autorités anglaises avec la mise en place d’une Commission Mixte Internationale afin de s’assurer du sort des sujets anglo-indiens à La Réunion en 1877.
Conclusion
Le rapatriement des engagés sur le Sparfel illustre un convoyage tout à fait banal de travailleurs indiens vers l’Inde. Aussi les conditions exécrables de vie des coolies à bord des navires reflètent le sort déplorable de l’Indien même à la Réunion. Davantage préoccupés par les dangers d’un mécontentement anglais que du sort réel des engagés rapatriés, l’administration des comptoirs indiens attire en maintes occasions l’attention de la métropole :
« Je crains vivement, Monsieur le Ministre, je le répète, de provoquer de légitimes réclamations du gouvernement anglais, en persistant dans la voie que suit l’Administration de La Réunion. Ce n’est qu’à grande peine que nous obtenons de nos voisins l’exécution de la convention internationale sur l’émigration, il serait imprudent de leur donner de justes griefs contre nous. »
Ainsi que le déploraient déjà les Commissaires, il serait pertinent d’élargir la prospection à d’autres convois et de confronter les rares rapports médicaux disponibles afin de mieux cerner les rapatriements d’engagés indiens :
« Combien d’accidents de cette espèce se sont-ils produits ? Nul ne le sait. La Réunion n’a jamais rendu compte des transports effectués ; le rapport de M.Bouvet, expédié de Calcutta, par le Consul Général de France, un rapport d’un médecin natif, Doressamy, adressé, à son retour, par le Gouverneur des Etablissements français dans l’Inde, sont les seuls documents de cette espèce qui soient parvenus. »
Les appréciations des auteurs sur les conditions de navigation et l’état sanitaire des convois d’engagés ne seraient-elles pas redondantes ? N’y aurait-il point un lien entre le choix de l’armement, le type de bâtiment et les conditions de transport de ces rapatriés Indiens ? Dans quelles mesures ces convois lugubres reflètent-ils les mentalités coloniales et les préjugés de puissants groupes sociaux ? Colons, industriels et armateurs perpétuent là un « new system of slavery », un titre déjà formulé par l’historien Hugh Tinker confirmant ainsi les craintes émises par ces Commissaires d’Immigration en annotation dans leur rapport :
« Il est prouvé que tous les systèmes d’engagement et d’immigration, quoique réglementés avec les meilleures intentions et contrôlés par une surveillance souvent périlleuse, mais forcément insuffisante, peuvent devenir sans cesse une traite nouvelle. »
II. – La fiction : le relais de la mémoire
Nous nous interrogeons dans cette seconde partie sur la spécificité générique et la singularité textuelle d’un récit qui illustre un patrimoine mémoriel poétisé. Nous expliciterons ses procédures d’écriture avec les choix stylistiques et notionnels adoptés pour la transposition des matériaux du régime référentiel vers le régime fictionnel.
Problème générique
Trois textes fonctionnels sous-tendent la genèse de ce projet fictionnel. Les sources primaires sont constituées du rapport médical d’un chirurgien et du journal de bord d’un capitaine. Les sources secondaires sont rassemblées sous un document confidentiel intitulé « Rapport de la Commission Supérieure d’Immigration » signé par trois personnalités de l’amirauté. De ces sources en résulte la nouvelle intitulée « Mutins et coolies sur le Sparfel. » Ce récit historique s’inscrit dans la littérature de voyage et se fonde sur le déplacement du navire et le dénouement d’une intrigue. Soucieux d’éviter le plagiat et la paraphrase, nous privilégions l’amplification, et de fait un véritable différentiel existe entre ce qui est rapporté par les archives et ce qui est transposé dans la fiction par l’auteur. Le nouvelliste assume un rôle essentiel et son écriture constitue un espace intermédiaire aux frontières poreuses entre la référentialité du récit factuel et l’imaginaire du récit fictionnel. Nous nous interrogerons alors aux marques formelles qui identifient son statut à la littérature de voyage ?
Les corpus romanesques
Le genre romanesque s’est certes approprié la fiction coolie avec plusieurs auteurs des aires créolophones mais les convoyages d’engagés au retour vers l’Inde se singularisent par une absence dans le traitement narratif : un simple intitulé de chapitre dans la Panse du chacal avec le roman martiniquais de Raphaël Confiant, mais le récit maritime n’est point traité ; dans Aurore
d’Ersnest Moutoussamy et Les rochers de poudre d’or
d’Appanah-Mouriquand, la fiction antillaise et mauricienne évacue le rapatriement ; et Boadour
suit la même texture narrative puisque Firmin Lacpatia insiste sur l’insertion des engagés dans la société coloniale. L’originalité de notre projet fictionnel demeure dans la thématique du retour en sus du réinvestissement des matériaux historiques en littérature.
La transposition fictionnelle
Nous développons un imaginaire à partir du rapport officiel rédigé par les témoins des faits historiques, traces psychologiques d’événements antérieurs et point d’ancrage d’une quête de la mémoire. Nous reconstituons une autre réalité, subjective certes, mais sustentée d’une fréquentation assidue et éparse d’archives navales des convois de rapatriement. La présence d’un narrateur chirurgien de marine navigant, témoin et personnage homodiégétique du récit conforte ce contrôle. L’instance énonciative donne ainsi au lecteur la possibilité d’imaginer de manière scrupuleuse les événements transposés avec un souci esthétique dans le récit de voyage. L’appropriation de la mémoire des migrations indiennes en Océan indien constitue bien son enjeu.
Problématique littéraire
Du déroulement chronologique d’un mémoire et surtout d’un document brut et naïf au style décousu mais empreint de réalité, nous reconfigurons l’itinéraire d’un rapatriement en un continuum structuré. Se posent alors les questions essentielles sur les modalités de cette métamorphose : Comment rendre lisible un manuscrit d’amirauté des voyages maritimes ?
Quelles transformations opérer au texte référentiel afin de parfaire sa traduction littéraire ? Et Quelle stratégie d’écriture privilégier pour l’esthétiser ? Nous indiquerons ainsi les ressorts linguistiques et narratifs de ce remaniement littéraire qui transpose un rapport factuel en un récit de voyage. Au préalable nous exhiberons les notions stylistiques qui ont été requises, puis nous justifierons les choix narratifs avant de dévoiler les procédures de mise en intrigue et de dramatisation dans la description.
Le changement dans le système d’énonciation traduit l’alternance entre le discours et le récit. Ces stratégies illustrent la visée discursive et l’enjeu ethnographique de la fiction. L’étagement énonciatif par les présences récurrentes du « je » marque aussi la mise en voix du récit de voyage et contraste ainsi avec le « nous » du rapport d’amirauté. L’emploi du présent gnomique intemporel contribue à créer l’esthétique réalisme par le passage au présent de narration des évènements narrés au passé dans le rapport. Nous notons aussi l’importance des verbes de mouvement qui ancre le procès dans l’action. La texture et la mise en forme du texte se singularisent par l’absence d’appareil critique et de notes infrapaginales. Les retraits typographiques corrélés avec les instances énonciatives assurent une fluidité à la lecture et à la compréhension du récit. La thématique de l’odyssée coolie est incarnée dans le matériel lexical de la navigation et la juxtaposition de signifiants tamouls dont les incises sémantiques contribuent à la cohérence phrastique.
La narration et les forces agissantes du récit
Le traitement de la temporalité est singulier dans le récit avec un début in media res et l’alternance entre une écriture linéaire et sinueuse. Nous observons des anticipations, des retours et de la simultanéité dans la narration des faits ; la logique narrative est sous-tendue par une déconstruction de la chronologie et un itinéraire brouillé. Le récit enchâssé est pris en charge par un narrataire qui réceptionne le témoignage des étonnants voyageurs, et la narration confère à l’écriture une esthétique à dominante diégétique. La vraisemblance du récit rapproche de facto le lecteur du conteur et rend la lecture plus émouvante par l’utilisation de la première personne. L’absence de dialogue est compensée par les relais narratifs. Les scènes (détails) – sommaires (résumés) – ellipses (raccourcis) procurent un rythme au récit qui contient des anecdotes fort intéressantes empruntées aux matériaux testimoniaux des rapports fonctionnels. Le mode d’exposition dominante est la narration et le monologue ; et la subjectivité du narrateur transmue les témoignages objectifs de l’amirauté en une aventure personnelle et émouvante. Deux outils littéraires nous autorisent à évoquer les étapes du récit et ses forces agissantes. Le schéma quinaire présente cinq phases du récit : le départ ; les privations et la révolte des voyageurs ; une succession de procès sur la mutinerie, les violences et la menace des rapatriés ; la réaction, la violence des armes et la rétorsion de l’équipage vis à vis des coolies ; l’arrivée du convoi au Bengale et la fin du voyage. Le schéma actanciel présente les forces agissantes du récit. Le sujet Appassamy poursuit un objet, le débarquement en Inde, il est aidé en cela par une force adjuvante son opiniâtreté malgré l’efficacité de la force opposante que forment le système colonial et ses métonymies, le capitaine et le chirurgien du navire. Le destinateur n’est autre que le rapatriement et ce retour motive l’action du protagoniste. Appassamy est un héraut coolie qui ambitionne de faire respecter la dignité humaine : le destinataire de ses actes.
La description
La perspective de réception détermine nos stratégies descriptives et nous avons dramatisé le réel, et de fait, atténué le récit de l’itinéraire. La description est sublimée au moyen d’un savoir culturel et l’emploi d’un paradigme documentaliste ; et elle confère une valeur dénotative à la fiction. Les procédures voisines se contaminent entre le régime référentiel de la description et le régime fictionnel de la narration. Le discours ethnographique emprunte ainsi les voix d’un voyage littéraire. Les images poétisent la trajectoire coolie par l’usage des métaphores crépusculaires et chaotiques. Elles nous sont livrées à travers une focalisation interne du héros dont la réalisation du désir même du pays des ancêtres paraît subordonnée à la purgation préalable des passions dans les entrailles du rafiot.
Conclusion
Nous pouvons évoquer la production d’un genre mixte caractérisé par une énonciation polyphonique, car dédoublée autour de l’auteur et du narrateur et étagée entre narrataire et narrateur. Cette distorsion de la composition formelle déconstruit le voyage initial envisagé dans les textes fonctionnels puis recompose une odyssée littéraire qui convoque de manière privilégiée la fonction esthétique et accessoirement idéologique. La mémoire coolie poétisée est aussi éprouvée de façon pathétique par le narrateur même à travers le récit d’expériences tant fictives, vraisemblables que réelles. L’écriture transmue l’archive en un fragment mémoriel qui produit une catharsis chez le lecteur. La lecture de ce récit composite permet autant d’informer le lecteur délicat que d’émouvoir l’être sensible en agissant sur son affect. Les traumatismes éprouvés sur un mode imaginaire expurgent les tensions liées à l’horreur et force le sentiment de pitié et d’admiration chez les lecteurs vis à vis de ces rapatriés qui ont difficilement survécu à l’occlusion dans le tréfonds des entreponts. L’écriture fictionnelle dramatise les événements et la nouvelle se conclut par l’expression d’une émotion unique et pitoyable qui nous convie à l’introspection ! Nous assistons à un paradoxe, l’aventure fictionnelle importe autant que la réalité des faits car la fiction recompose le réel et elle semble même plus en rapport avec l’expérience de la vérité. Orientée vers le destinataire le récit assure le rôle de médium et configure la fonction épistémique du texte testimonial : ainsi les écritures de la cognition et de la représentation se conjuguent pour offrir en pâture aux lecteurs la mémoire pathétique et poétisée des engagés indiens. Aussi dans cette nouvelle d’une dizaine de page qui met en intrigue un rapatriement d’indiens et qui s’insère dans un projet global de réécriture subjective de la mémoire, des traits formels ne s’instaurent plus dans l’écriture où interfèrent la référentialité et l’imaginaire.