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Date de création : 11.03.2012
Dernière mise à jour :
30.04.2012
12 articles
Dr.GOVINDIN Sully Santa
Historien
« Mutins et coolies sur le Sparfel » :
Un convoi de rapatriement de La Réunion
vers Calcutta en 1867.
Ecrire le récit des migrants dans l’Océan indien
ou l’Histoire et la Mémoire
dans les représentations du passé
Résumé
Cette étude exhibe la fonction épistémique dans la réalisation d’un projet d’esthétisation de la mémoire. Authentifiés par l’histoire, les récits migratoires des îles de l’Océan indien vers l’Inde se prêtent ainsi plus aisément à une entreprise fictionnelle qui exhume de surcroît des faits inédits. Notre démarche conjugue la cognition et la représentation. L’analyse critique d’un rapport d’une Commission Supérieure d’Immigration sous-tend une écriture romancée spécifique au genre des littératures de voyage. Nous proposons ainsi de montrer la genèse d’un récit maritime lié au convoyage de coolies. L’étude historique précède ici l’imaginaire lequel se substitue au discours. La trame est originale : une « mutinerie » d’engagés indiens à l’occasion d’un rapatriement effectué à partir de la Réunion vers Calcutta en 1867 via l’Archipel des Maldives est mise en intrigue par l’artifice langagier et littéraire. In fine, le récit de voyage relatant le retour des immigrants vers la mater indica poétise et relaye ainsi un fragment mémoriel de l’engagisme.
Introduction
La thématique des convoyages sur les anciens négriers précipitamment aménagés par les armateurs afin de répondre aux appels d’offres de l’administration constitue un aspect méconnu de l’histoire des déplacements de population dans l’Océan indien. Les migrations indiennes durant le XIXe siècle se sont étalées sur un peu moins d’un siècle entre les voyages aller mieux connus à vrai dire de l’Inde vers les espaces insulaires que les rapatriements en direction des comptoirs de débarquement sur le Golfe du Bengale. Les recherches sont rares dans ce domaine et notre travail arrime la mémoire à l’histoire érudite. Nous nous interrogeons sur les modalités génériques, l’essai historique et la littérature de voyage, pour faire œuvre de passeur de mémoire et créer les conditions satisfaisantes de sa réception même.
Notre approche est ambitieuse mais elle n’est pas inédite car l’élaboration et l’utilisation de matériaux historiques ont déjà fait l’objet de transposition dans le domaine littéraire. Firmin Lacpatia auteur d’une trilogie sur les Indiens de la Réunion s’est lancé dans le genre fictionnel en publiant un roman historique intitulé : Boadour
. Aucun exemple nous est fournit cependant sur les rapatriements d’indiens au retour de la Réunion vers l’Inde et ni même des autres espaces insulaires francophones et anglophones vers le sub-continent. On peut ainsi déplorer l’absence du rôle palliatif des romanciers relatif à cette thématique des convoyages vers les ports d’embarquement et les centres de recrutement en Inde. L’imaginaire et sa fiction enjoliveuse ne se sont point emparés de ces tragédies humaines du XIXe siècle, et cette carence sur les transports humains et maritimes se justifie assurément par la rareté de ses sources. Cependant notre démarche est originale car nous présentons d’abord un usage du passé en ce milieu du XIXe siècle : un rapport d’amirauté lequel nous soumettons à l’analyse afin d’y apporter des éclairages historiques. Cette étude préliminaire nous permet ainsi de mieux cerner les conditions de navigation dans l’aire de l’Océan indien, et en corollaire nous autorise à expliciter une stratégie d’écriture. Nous préciserons alors les choix linguistiques et littéraires en vue d’une configuration fictionnelle qui transpose le matériau historique en un récit dans le temps présent. La pertinence de notre procédure relève précisément de la conjugaison de méthodes complémentaires afin d’éclairer la mémoire de l’engagisme appréhendée ainsi selon deux horizons convergents afférents à l’histoire et à la littérature.
Nous présentons un document historique inédit : un rapport d’une Commission Supérieure d’Immigration, en 1867, que nous soumettons à l’analyse critique. Nous nous interrogerons plus précisément sur le Sparfel, un convoi de rapatriement. Illustre-il la singularité d’un convoyage d’engagés ou confirme-t-il plus communément des mésaventures récurrentes restées confidentielles ?
Méthodologie
La compilation est une méthode heuristique, et la prospection des différents témoignages permet de mieux appréhender la vérité du fait historique. Le compendium des voyages maritimes ne constitue pas une spécificité mais bien un ensemble de documents hétérogènes : journaux de bord au jour le jour sobres ou truffés d’indications sur les itinéraires, les climats, les espaces visités ; les rapports médicaux ; les listes nominatives ; les textes officiels et réglementaires ; les correspondances et les réclamations ; les mémoires d’amirauté ; les traités d’adjudication pour les transports des immigrants etc. La démarche historique exige de tester la véracité des témoignages en confrontant les auteurs et les documents afin de cerner la réalité des faits avec le maximum de rigueur. L’historien reconstruit ainsi les évènements en scrutant les sources, et en privilégiant exclusivement les témoins représentatifs.
Le chercheur prête ainsi une attention sourcilleuse au regard neuf et aux témoins crédibles. Il privilégie ainsi les relateurs de mémoires bruts et surchargés de faits et les différencie des narrateurs de la fiction. Sa rigueur exige de démasquer les simulateurs qui défigurent les journaux de bord des capitaines et des médecins.
Dans une phase d’étude préalable, nous dévoilerons l’existence du document historique en réalisant successivement : L’identification, l’inventaire et l’analyse du contenu ; et nous dégagerons ensuite ses enjeux.
Identification
Notre document s’intitule « Avis de la Commission d’Immigration » . Il relate les conditions dans lesquelles s’est effectué le rapatriement de 309 immigrants Indiens de La Réunion vers Calcutta, sur le Sparfel, le 8 mars 1867. C’est un rapport d’amirauté signé par trois membres de la Commission Supérieure d’Immigration, dont une des signatures porte le nom De Jonquières. Il mentionne l’entête du Ministère de la Marine et des colonies, et date de novembre 1867, soit six mois et demi après le convoyage d’Indiens de La Réunion vers l’Inde. Il s’agit d’un texte fonctionnel censé représenter un point de vue objectif sur l’événement. Il est rédigé à partir de deux rapports obligatoires censurés ou pas par des officiers et qui constituent en réalité deux instruments de contrôle pour le ministère. Les mémoires préalables qui sous-tendent le rapport d’amirauté sont constitués d’un journal de bord du capitaine et le rapport médical du médecin du cadre colonial faisant fonction de médecin délégué du gouvernement. Le système d’écriture du rapport d’amirauté se distingue par un énonciateur ni témoin et ni acteur, éloigné de l’événement relaté et écrit à la troisième personne voire à la forme impersonnelle du singulier. Par contre les deux témoins acteurs de choix du fait de leurs traces psychologiques inédites nous livrent des informations complémentaires sur les conditions de navigation et l’état sanitaire de l’équipage. Ces données de qualité sont ainsi restituées dans le rapport d’amirauté et résultent de la confrontation de plusieurs points de vue sur le rapatriement d’engagés. A vrai dire il s’agit d’évènements sensibles situés au cœur même des dissensions et des conflits diplomatiques entre les deux grandes puissances coloniales en Océan indien, le Royaume Uni et la France, moins d’une vingtaine d’années seulement après l’abolition de l’esclavage à la Réunion en 1848, mais à peine six années après la convention franco-anglaise de 1861 sur l’émigration des travailleurs indiens vers les colonies françaises.
Contenu
Ce rapport se présente en plusieurs parties lesquelles nous informent successivement de l’aménagement du bâtiment et des conditions hygiéniques ; des rations alimentaires au regard de l’itinéraire et de la réglementation ; de la tentative de révolte des engagés rapatriés à bord du Sparfel ; et de l’épidémie qui s’est déclarée à bord. Il se termine par des recommandations d’afin d’améliorer les conditions de transports des travailleurs au retour dans l’Inde.
Le 8 mars 1867, le Sparfel, trois mâts et barque du port de Nantes, jaugé à 375 tonneaux, du capitaine Lossieux est nolisé pour transporter, de La Réunion à Calcutta, 309 Indiens arrivés au terme de leur engagement dans la colonie française. Le 9 mars, à 7 heures du matin, il est sous voiles. Le convoi se compose de 229 hommes, 42 femmes, et 38 enfants de quelques mois à 15 ans, soit 309 passagers ; mais admettant, au point de vue de l’approvisionnement des vivres, que de ces 38 enfants, 26 soient considérés comme non adultes comptant pour 13 adultes, et 12 enfants en bas âge, équivalent à 4 adultes, le convoi se réduit à 288 passagers effectifs. Du 9 mars au 1er mai, la traversée a duré 52 jours. Elle est considérée comme fort longue et elle a été marquée par une tentative de révolte. Pour cette raison la Commission Supérieure d’Immigration examine les rapports du capitaine Lossieux et du médecin de 2e classe Bouvet.
Les conditions hygiéniques
Un faux-pont provisoire de 205 m2 hâtivement installé en 24 heures de surcroît non calfaté avec des planches non rabotées n’offrait pas les conditions de salubrité et d’hygiène. Les immondices et les déjections des enfants pénétraient dans la cale. On avait négligé la réalisation d’une claire-voie pour la séparation des hommes et les femmes et enfants pendant les nuits. Promiscuité et exiguïté compromettaient les chances de survie car le médecin évalue à un mètre cube la surface réservée au passager au lieu des deux mètres cubes exigés par la convention.
L’alimentation et l’itinéraire
Le décret du 27 mars 1852 fixe la ration alimentaire de l’émigrant. Sur le Sparfel les provisions en eau et nourriture ont été arbitrairement diminuées. Le médecin supprime ainsi un repas alors que le décret fixe les heures de repas à 9h et à 16h. L’approvisionnement est calculé pour 45 à 43 jours d’alimentation.
Les Commissaires supposent que le Sparfelcomptait sur une traversée de 26 à 27 jours. En tenant compte des instructions nautiques, aucune traversée des îles Mascareignes au Golfe du Bengale correspond à cette durée. Le Sparfel semble avoir suivi la route dite de « Boscawen » suivant en cela les instructions nautiques d’ « Horsburgh ». Il aurait traversé ainsi l’Archipel des Maldives par le Canal Adou-matis. Cette trajectoire correspond à 1200 lieues, et le capitaine devait aux termes de ce décret compter sur 40 jours de mer et par conséquent s’approvisionner pour 45 jours.
La tentative de révolte
Elle est motivée essentiellement par les privations dont les rapports fournissent les témoignages indirects. Pire, le rapport médical omet les incidents. Nous apprenons dans le rapport du capitaine qu’un matelot aurait agressé les Indiens, alors que le médecin ne mentionne qu’une menace continuelle exercée par les Indiens. Cependant, le capitaine écarte le motif de l’insuffisance d’alimentation et attribue à la présence de libérés de prison l’existence d’un complot fomenté par les fauteurs de trouble indisciplinés. Seule la mise aux fers de sept mauvais sujets et les blessures affligées par des pistolets ramène le calme.
L’épidémie
39 personnes ont été frappées par la fièvre récurrente et deux émigrants sont morts. Les Commissaires soupçonnent les véritables causes dans les insuffisances de l’alimentation et les privations de toutes sortes dont furent victimes les Indiens.
Analyse
Ce document rend compte d’une opération défectueuse de transport d’engagés indiens. Ce rapport officiel évalue ainsi les agissements d’un équipage irresponsable au regard de la législation. Le commandement du Sparfel n’a pas respecté le décret de 1864 qui obligeait les navires de rapatriement à posséder les mêmes aménagements que ceux de l’aller. Il en résulte des inconvénients sur les conditions hygiéniques fort préjudiciables aux voyageurs. Le choix des rations alimentaires aussi ne respectent point les taux réglementaires car elles sont diminuées voire pires puisqu’un deuxième repas est même supprimé. Il en résulte un climat de suspicion et de mécontentement de la part des rapatriés. Aussi les défauts de l’armement sont minorés par le chirurgien lequel reporte la responsabilité de la révolte sur le statut même d’Indiens condamnés libérés et expulsés de la Réunion. Lucides et objectifs du fait de leur expérience et de leur fonction même, les hauts fonctionnaires rétablissent une vision objective des évènements relatés partialement par l’un des témoins, un simple médecin faisant fonction de Délégué du Gouvernement, le chirurgien Bouvet. L’analyse de l’épidémie effectuée par le médecin colonial est contredite par les Commissaires puisqu’ils imputent les mauvaises conditions hygiéniques et l’épidémie à la privation de toute sorte et à l’insuffisance alimentaire. Ces officiers constatent le non-respect de la réglementation, une pratique semble-il communément répandue parmi les navires de rapatriement. Ces officiers déplorent de surcroît l’absence de rapports et documents administratifs venant en principe de la colonie de La Réunion. Ils émettent donc des recommandations auprès du gouvernement de la marine interpellé par les incidents diplomatiques causés par les plaintes réitérées des rapatriés auprès des Agents consulaires en Inde. Le ministre espère bien atténuer les rivalités franco-anglaises, exacerbées il est vrai par les attitudes irresponsables d’armateurs et de marins peu scrupuleux : mais dans quelle mesure ne faut-il point évoquer la duplicité d’une administration coloniale ?
La rédaction de ce rapport nous amène à nous interroger sur sa portée et les influences qu’il exerça quant à la suite des évènements : tensions diplomatiques annoncées et craintes émises sur la suspension de l’émigration indienne. Les espoirs formulés par les recommandations des Commissaires quant au respect de la réglementation ne sont guère réalisés. Sur d’autres convois postérieurs nous notons ainsi une mortalité excessive : Convoi de rapatriement de la Rose avec 13 morts en 1873. Certains convois présentent malheureusement des conditions quasi identiques aux anciens négriers hâtivement aménagés et ne respectant point les améliorations des conditions de transport. Les mesures législatives sont pourtant inscrites dans les articles 14 et 15 de la convention. Aussi la lecture du rapport : « Avis de la Commission Supérieure d’Immigration » confirme bien l’existence de « ..cas de révoltes assez fréquents pendant ces opérations de transport… »
Ce document nous permet ainsi de mieux saisir les craintes des Commissaires vis à vis de l’Administration et des difficultés sérieuses ou tout du moins des graves désagréments que lui imposent les autorités anglaises avec la mise en place d’une Commission Mixte Internationale afin de s’assurer du sort des sujets anglo-indiens à La Réunion en 1877.
Conclusion
Le rapatriement des engagés sur le Sparfel illustre un convoyage tout à fait banal de travailleurs indiens vers l’Inde. Aussi les conditions exécrables de vie des coolies à bord des navires reflètent le sort déplorable de l’Indien même à la Réunion. Davantage préoccupés par les dangers d’un mécontentement anglais que du sort réel des engagés rapatriés, l’administration des comptoirs indiens attire en maintes occasions l’attention de la métropole :
« Je crains vivement, Monsieur le Ministre, je le répète, de provoquer de légitimes réclamations du gouvernement anglais, en persistant dans la voie que suit l’Administration de La Réunion. Ce n’est qu’à grande peine que nous obtenons de nos voisins l’exécution de la convention internationale sur l’émigration, il serait imprudent de leur donner de justes griefs contre nous. »
Ainsi que le déploraient déjà les Commissaires, il serait pertinent d’élargir la prospection à d’autres convois et de confronter les rares rapports médicaux disponibles afin de mieux cerner les rapatriements d’engagés indiens :
« Combien d’accidents de cette espèce se sont-ils produits ? Nul ne le sait. La Réunion n’a jamais rendu compte des transports effectués ; le rapport de M.Bouvet, expédié de Calcutta, par le Consul Général de France, un rapport d’un médecin natif, Doressamy, adressé, à son retour, par le Gouverneur des Etablissements français dans l’Inde, sont les seuls documents de cette espèce qui soient parvenus. »
Les appréciations des auteurs sur les conditions de navigation et l’état sanitaire des convois d’engagés ne seraient-elles pas redondantes ? N’y aurait-il point un lien entre le choix de l’armement, le type de bâtiment et les conditions de transport de ces rapatriés Indiens ? Dans quelles mesures ces convois lugubres reflètent-ils les mentalités coloniales et les préjugés de puissants groupes sociaux ? Colons, industriels et armateurs perpétuent là un « new system of slavery », un titre déjà formulé par l’historien Hugh Tinker confirmant ainsi les craintes émises par ces Commissaires d’Immigration en annotation dans leur rapport :
« Il est prouvé que tous les systèmes d’engagement et d’immigration, quoique réglementés avec les meilleures intentions et contrôlés par une surveillance souvent périlleuse, mais forcément insuffisante, peuvent devenir sans cesse une traite nouvelle. »
II. – La fiction : le relais de la mémoire
Nous nous interrogeons dans cette seconde partie sur la spécificité générique et la singularité textuelle d’un récit qui illustre un patrimoine mémoriel poétisé. Nous expliciterons ses procédures d’écriture avec les choix stylistiques et notionnels adoptés pour la transposition des matériaux du régime référentiel vers le régime fictionnel.
Problème générique
Trois textes fonctionnels sous-tendent la genèse de ce projet fictionnel. Les sources primaires sont constituées du rapport médical d’un chirurgien et du journal de bord d’un capitaine. Les sources secondaires sont rassemblées sous un document confidentiel intitulé « Rapport de la Commission Supérieure d’Immigration » signé par trois personnalités de l’amirauté. De ces sources en résulte la nouvelle intitulée « Mutins et coolies sur le Sparfel. » Ce récit historique s’inscrit dans la littérature de voyage et se fonde sur le déplacement du navire et le dénouement d’une intrigue. Soucieux d’éviter le plagiat et la paraphrase, nous privilégions l’amplification, et de fait un véritable différentiel existe entre ce qui est rapporté par les archives et ce qui est transposé dans la fiction par l’auteur. Le nouvelliste assume un rôle essentiel et son écriture constitue un espace intermédiaire aux frontières poreuses entre la référentialité du récit factuel et l’imaginaire du récit fictionnel. Nous nous interrogerons alors aux marques formelles qui identifient son statut à la littérature de voyage ?
Les corpus romanesques
Le genre romanesque s’est certes approprié la fiction coolie avec plusieurs auteurs des aires créolophones mais les convoyages d’engagés au retour vers l’Inde se singularisent par une absence dans le traitement narratif : un simple intitulé de chapitre dans la Panse du chacal avec le roman martiniquais de Raphaël Confiant, mais le récit maritime n’est point traité ; dans Aurore
d’Ersnest Moutoussamy et Les rochers de poudre d’or
d’Appanah-Mouriquand, la fiction antillaise et mauricienne évacue le rapatriement ; et Boadour
suit la même texture narrative puisque Firmin Lacpatia insiste sur l’insertion des engagés dans la société coloniale. L’originalité de notre projet fictionnel demeure dans la thématique du retour en sus du réinvestissement des matériaux historiques en littérature.
La transposition fictionnelle
Nous développons un imaginaire à partir du rapport officiel rédigé par les témoins des faits historiques, traces psychologiques d’événements antérieurs et point d’ancrage d’une quête de la mémoire. Nous reconstituons une autre réalité, subjective certes, mais sustentée d’une fréquentation assidue et éparse d’archives navales des convois de rapatriement. La présence d’un narrateur chirurgien de marine navigant, témoin et personnage homodiégétique du récit conforte ce contrôle. L’instance énonciative donne ainsi au lecteur la possibilité d’imaginer de manière scrupuleuse les événements transposés avec un souci esthétique dans le récit de voyage. L’appropriation de la mémoire des migrations indiennes en Océan indien constitue bien son enjeu.
Problématique littéraire
Du déroulement chronologique d’un mémoire et surtout d’un document brut et naïf au style décousu mais empreint de réalité, nous reconfigurons l’itinéraire d’un rapatriement en un continuum structuré. Se posent alors les questions essentielles sur les modalités de cette métamorphose : Comment rendre lisible un manuscrit d’amirauté des voyages maritimes ?
Quelles transformations opérer au texte référentiel afin de parfaire sa traduction littéraire ? Et Quelle stratégie d’écriture privilégier pour l’esthétiser ? Nous indiquerons ainsi les ressorts linguistiques et narratifs de ce remaniement littéraire qui transpose un rapport factuel en un récit de voyage. Au préalable nous exhiberons les notions stylistiques qui ont été requises, puis nous justifierons les choix narratifs avant de dévoiler les procédures de mise en intrigue et de dramatisation dans la description.
Le changement dans le système d’énonciation traduit l’alternance entre le discours et le récit. Ces stratégies illustrent la visée discursive et l’enjeu ethnographique de la fiction. L’étagement énonciatif par les présences récurrentes du « je » marque aussi la mise en voix du récit de voyage et contraste ainsi avec le « nous » du rapport d’amirauté. L’emploi du présent gnomique intemporel contribue à créer l’esthétique réalisme par le passage au présent de narration des évènements narrés au passé dans le rapport. Nous notons aussi l’importance des verbes de mouvement qui ancre le procès dans l’action. La texture et la mise en forme du texte se singularisent par l’absence d’appareil critique et de notes infrapaginales. Les retraits typographiques corrélés avec les instances énonciatives assurent une fluidité à la lecture et à la compréhension du récit. La thématique de l’odyssée coolie est incarnée dans le matériel lexical de la navigation et la juxtaposition de signifiants tamouls dont les incises sémantiques contribuent à la cohérence phrastique.
La narration et les forces agissantes du récit
Le traitement de la temporalité est singulier dans le récit avec un début in media res et l’alternance entre une écriture linéaire et sinueuse. Nous observons des anticipations, des retours et de la simultanéité dans la narration des faits ; la logique narrative est sous-tendue par une déconstruction de la chronologie et un itinéraire brouillé. Le récit enchâssé est pris en charge par un narrataire qui réceptionne le témoignage des étonnants voyageurs, et la narration confère à l’écriture une esthétique à dominante diégétique. La vraisemblance du récit rapproche de facto le lecteur du conteur et rend la lecture plus émouvante par l’utilisation de la première personne. L’absence de dialogue est compensée par les relais narratifs. Les scènes (détails) – sommaires (résumés) – ellipses (raccourcis) procurent un rythme au récit qui contient des anecdotes fort intéressantes empruntées aux matériaux testimoniaux des rapports fonctionnels. Le mode d’exposition dominante est la narration et le monologue ; et la subjectivité du narrateur transmue les témoignages objectifs de l’amirauté en une aventure personnelle et émouvante. Deux outils littéraires nous autorisent à évoquer les étapes du récit et ses forces agissantes. Le schéma quinaire présente cinq phases du récit : le départ ; les privations et la révolte des voyageurs ; une succession de procès sur la mutinerie, les violences et la menace des rapatriés ; la réaction, la violence des armes et la rétorsion de l’équipage vis à vis des coolies ; l’arrivée du convoi au Bengale et la fin du voyage. Le schéma actanciel présente les forces agissantes du récit. Le sujet Appassamy poursuit un objet, le débarquement en Inde, il est aidé en cela par une force adjuvante son opiniâtreté malgré l’efficacité de la force opposante que forment le système colonial et ses métonymies, le capitaine et le chirurgien du navire. Le destinateur n’est autre que le rapatriement et ce retour motive l’action du protagoniste. Appassamy est un héraut coolie qui ambitionne de faire respecter la dignité humaine : le destinataire de ses actes.
La description
La perspective de réception détermine nos stratégies descriptives et nous avons dramatisé le réel, et de fait, atténué le récit de l’itinéraire. La description est sublimée au moyen d’un savoir culturel et l’emploi d’un paradigme documentaliste ; et elle confère une valeur dénotative à la fiction. Les procédures voisines se contaminent entre le régime référentiel de la description et le régime fictionnel de la narration. Le discours ethnographique emprunte ainsi les voix d’un voyage littéraire. Les images poétisent la trajectoire coolie par l’usage des métaphores crépusculaires et chaotiques. Elles nous sont livrées à travers une focalisation interne du héros dont la réalisation du désir même du pays des ancêtres paraît subordonnée à la purgation préalable des passions dans les entrailles du rafiot.
Conclusion
Nous pouvons évoquer la production d’un genre mixte caractérisé par une énonciation polyphonique, car dédoublée autour de l’auteur et du narrateur et étagée entre narrataire et narrateur. Cette distorsion de la composition formelle déconstruit le voyage initial envisagé dans les textes fonctionnels puis recompose une odyssée littéraire qui convoque de manière privilégiée la fonction esthétique et accessoirement idéologique. La mémoire coolie poétisée est aussi éprouvée de façon pathétique par le narrateur même à travers le récit d’expériences tant fictives, vraisemblables que réelles. L’écriture transmue l’archive en un fragment mémoriel qui produit une catharsis chez le lecteur. La lecture de ce récit composite permet autant d’informer le lecteur délicat que d’émouvoir l’être sensible en agissant sur son affect. Les traumatismes éprouvés sur un mode imaginaire expurgent les tensions liées à l’horreur et force le sentiment de pitié et d’admiration chez les lecteurs vis à vis de ces rapatriés qui ont difficilement survécu à l’occlusion dans le tréfonds des entreponts. L’écriture fictionnelle dramatise les événements et la nouvelle se conclut par l’expression d’une émotion unique et pitoyable qui nous convie à l’introspection ! Nous assistons à un paradoxe, l’aventure fictionnelle importe autant que la réalité des faits car la fiction recompose le réel et elle semble même plus en rapport avec l’expérience de la vérité. Orientée vers le destinataire le récit assure le rôle de médium et configure la fonction épistémique du texte testimonial : ainsi les écritures de la cognition et de la représentation se conjuguent pour offrir en pâture aux lecteurs la mémoire pathétique et poétisée des engagés indiens. Aussi dans cette nouvelle d’une dizaine de page qui met en intrigue un rapatriement d’indiens et qui s’insère dans un projet global de réécriture subjective de la mémoire, des traits formels ne s’instaurent plus dans l’écriture où interfèrent la référentialité et l’imaginaire.
Traduire un corpus complexe du Mahabharata
en société créole :chant I, épisode 4 du Surya Vanam
GOVINDIN Sully Santa
Docteur en Langues et cultures régionales
Cet article présente le Mahabharata dans sa version vernaculaire tamoule : le Pañcapandavar Vanavaçam » ou les « Chants de l’Exil ».C’est une variante populaire du modèle sanscrit qui est extrait du « Livre de la forêt. » Elle relate la geste des héros bannis. Surya vanam est le chant premier sur douze que contient l’œuvre. Le corpus de la tradition orale mixte évolue au sein de l’espace sacré, le Koïlou ou encore le temple hindou.
Nous caractérisons dans une première partie l’univers littéraire et sacré de ce patrimoine ancestral des migrants indiens. Nous évoquons le mythe selon les modalités de sa formulation par les bardes itinérants du pays tamoul puis nous poursuivrons sur les circonstances actuelles de son émission à La Réunion. Dans l’île le mythe est théâtralisé et ritualisé à l’occasion des cérémonies religieuses dites « marche sur le feu, » et est intégré au sein d’un corpus complexe qui alimente l’imaginaire des poètes créolophones.
Dans une seconde partie nous nous intéressons aux aspects lexicaux du corpus et à la traduction. Nous développons d’abord un lexique spécialisé qui permet de mieux saisir la complexité de notre objet, et nous présentons la méthode adoptée pour traduire un épisode de la version tamoule.
Les caractéristiques d’un mythe populaire
Des villages tamouls aux camps d’engagés
Cette littérature de colportage appartient au patrimoine folklorique et ses ouvrages de vulgarisation mettent à la portée du peuple, le thème de l’héroïsme issu de la grande tradition épique. Les épisodes mythologiques sont ainsi charriés par la mémoire populaire grâce aux bardes qui déambulent les rues à la nuit tombée en sélectionnant des passages de leur répertoire à la grande délectation du public. Ce corpus oral est véhiculé par les troupes d’acteurs semi-professionnelles. Ils se spécialisent dans le répertoire du Terrukkuttu, la « danse des rues », fondée sur les épisodes du Mahabharata. C’est un théâtre populaire avec des acteurs-danseurs masculins qui n’hésitent pas à improviser et qui sont habillés de spectaculaires costumes.
Parfois de simples amateurs, voire des mendiants errants du pays tamoul modifient l’œuvre initiale au cours de leurs exhibitions. Ces textes appartiennent à un registre courant. Associant la narration et le chant, les répertoires sont rythmés et accompagnés d’une mélodie simple. Au cours des prestations, les musiciens itinérants se complaisent ainsi à reprendre plusieurs fois les mêmes expressions. L’héroïsme et le merveilleux sont des esthétiques privilégiées dans les compositions lesquelles sont énoncées selon différentes modalités pour prolonger le plaisir et aguicher le public dans l’attente des autres épisodes. Le chant est susceptible d’être remodelé successivement par les bardes au gré de leur convenance. L’aire géographique se situe dans le pays tamoul et particulièrement sur la trajectoire balisée par les sanctuaires destinés au culte de Draupadi, déesse encore désignée Sundari dans les villages. Les interprètes de la littérature folklorique sont des prêtres récitants de caste Gaoundar, les Pousari-Bharatam, spécialisés dans la lecture et le commentaire de l’épopée. Sa formulation s’inscrit dans la temporalité du sacré qui ritualise le mythe des Pandével, les fils du clan de Pandu, et ce récit immémorial fut véhiculé les migrants au cours de leur périple insulaire.
Le Mahabharata des interprètes réunionnais
Le temple hindou du Portail à Saint-leu fut construit au début du XXe siècle par les descendants d’engagés indiens qui s’empressèrent d’enraciner leur croyance hindoue à proximité même des moulins sucriers. Conformément aux règlements stipulés dans les contrats d’engagements, autorisés à professer leur religion en accomplissant les rituels selon les us et coutumes de leurs castes, les travailleurs indiens établirent une petite pagode proche des lieux de vie et de travail. En aval du sanctuaire hindou à Piton Saint-leu, les vestiges d’une cheminée lézardée associent de manière inattendue l’histoire des hommes en exil à celle de leurs Dieux bannis de l’Indraprastha, « un royaume hindou selon l’épopée. »
Dédiée à la déesse Dolvédé expulsée avec les cinq princes du roi Pandu, la commémoration du mythe est organisée tous les ans après la campagne sucrière. Le déroulement de la fête est étalé sur dix-huit jours et elle culmine avec la « marche sur le feu », dont la date coïncide avec la fête de la moisson tamoule, le Pongol, temps festif et sacré où les engagés indiens prenaient quatre jours pour la célébrer. Se pliant aux contraintes imposées par l’industrie sucrière, les fidèles perpétuent la tradition religieuse de leurs ancêtres immigrants à savoir le rituel adressé aux divinités du panthéon villageois en respectant scrupuleusement le calendrier agricole. Les responsables de l’association cultuelle s’efforcent en permanence de rénover, d’embellir le temple et de perpétuer le rituel hindou. Le temple du Portail présente une image novatrice de l’hindouisme réunionnais et conjugue les deux niveaux de croyance : le rituel végétarien du brahmanisme à travers les fêtes de kavadi adressé à Mourouga ; et le sacrifice sanglant dédié aux divinités sanguinaires et « mineures. » Officiant attitré, Ayével B. L. vient de Tamatave, une localité de l’Ouest située dans les hauts de Saint-Paul et assure depuis plusieurs années déjà diverses cérémonies dont celle précisément de la « marche sur le feu. » Il eût le privilège de côtoyer d’illustres prêtres malbar, des descendants d’esclaves et d’engagés indiens, et reste dépositaire d’une tradition orale variée. Pousari-Barldon, c’est un officiant éprouvé tant dans le rituel que la connaissance du Mahabharata. Ainsi, depuis le début des cérémonies, l’amar-kap,
à la mi-décembre, il assure durant ce temps sacré, soit dix-huit jours minimums, le rituel de la « marche sur le feu » qui se déroule au début des mois de janvier. Quotidiennement les hindouistes remémorent les épisodes de la "Grande (Bataille des) Bharata." Assisté d’un disciple, il rassemble en fin de journée les pénitents afin d’honorer Dieux et Déesses majeurs tels Siva, Pelmal, Karli, Maliémin et de magnifier l’exploit des héros déifiés présents dans l’enceinte du temple : les cinq frères Pandével, Dolvédé l’héroïne du Mahabharata, Alvan le fils d’Arjuna, et évoque l’histoire d’autres personnages mineurs tels que sages, démons et rois. Insérés dans un espace sacré sous le regard bienveillant des héros du panthéon et des familles attentionnées, les marcheurs sous l’égide de l’officiant lisent le Barldon, et chantent le Vanavarson » : deux autres désignations pour le Mahabharataet le Pañcapandava Vanavaçam. La remémoration du mythe est un acte complexe, puisqu’on observe plusieurs phases alternées : récit rythmé et chanté voire déclamé de l’officiant ; répétition des pénitents ; traduction en créole et commentaires éventuels. En fonction de la disponibilité de l’officiant et l’importance des cérémonies, le temps de la diction se dilate ou se contracte. Maints remaniements sont effectués dans le choix des extraits. Des trajectoires transversales sont réalisées dans les répertoires en empruntant différents genres dont les supports sont issus des textes épiques ou des livrets de colportage : -résumé ou vasanam, extraits des textes classiques à l’instar de l’Adi parvan et du Vana parvan, « le Livre de la forêt » ; -prosodie dite vanom, issue Pañcapandava Vanavaçam et provenant de la littérature des récits dits kadaï; -scènes théâtrales de type narlégon sélectionnées à partir du Draupadi Natakam. Les genres sont variés et les interprètes utilisent des versions aussi bien narratives
que poétiques
et théâtrales.
A l’issue de la guerre des dix-huit jours, les épisodes importants du récit sont récités et les pénitents célèbrent leur déesse Dolvédé encore désignée Pañjali, « Celle du royaume de Pañchala » en traversant le brasier rouge et cendré.
Un mythe théâtralisé et ritualisé
Le mythe est en représentation par des pénitents acteurs qui miment en public les exploits des dieux guerriers. La tradition orale est ritualisée et elle n’est point un objet esthétique qui se joue et s’apprécie hors de l’espace du sacré. Le contexte à son élaboration est lié à la remémoration de l’épopée et plus précisément aux exploits des héros du Barldon durant leur exil. Sa récitation est nocturne et elle se produit durant les dix-sept jours précédents la « marche sur le feu » pour se terminer avec la montée du tavsi, « l’exploit d’Arjuna. » Déterminé à rencontrer le Dieu Siven, le troisième fils de Pandu se rend au mont Kaïlasa en Himalaya et surmonte avec opiniâtreté plusieurs épreuves puis est récompensé par l’obtention d’une arme magique.Le mythe est une œuvre musicale en représentation et les pénitents miment les exploits divins avec le soutien des percussions et de la récitation d’un interprète. Le texte en réalité est utilisé par le récitant vartial sous une forme chantée ou déclamée. Son rôle est de remémorer l’épopée, et de ce fait il demeure un expert du corpus écrit et oral. Pougajéndi Poulavar, le poète, et Vinaryéguel, le Dieu éléphant et narrateur du mythe demeurent dans l’anonymat car ils sont oblitérés par la performance même de l’exécutant. L’officiant spécialisé dans la lecture duMahabharata est en réalité un spécialiste de la tradition orale mixte et peut aussi intervenir dans un cadre festif et profane. A l’occasion de la nouvelle année tamoule, il peut-être sollicité pour une prestation de type théâtral,narlgon, « bal tamoul, » en puisant dans un répertoire folklorique et mythologique lié au terroir tamoul. Il cumule plusieurs fonctions, metteur en scène, chef d’orchestre, acteurs et danseurs etc..
Au cours de la récitation des « Chants de l’Exil », les pénitents marcheurs répètent inlassablement les phrasés de l’interprète principal lesquels sont rythmés par les percussions Matalon et les cymbales Tarlon.
L’intégration du public
Une intrusion du public s’opère au cours de l’énonciation du mythe. Il peut être sur l’initiative de la famille des pénitents, d’un étranger voire de l’enquêteur même qui honorent les Dieux et ses desservants pour les plaisirs esthétiques procurés. Régulièrement, l’interprète interrompt sa récitation et fait part en langue créole plus rarement en tamoul du soutien moral et financier des donateurs. Il le nomme, désigne son lieu d’habitation et qualifie sa contribution, puis réamorce à l’aide de formule type la récitation en remerciant les dieux du panthéon. Occasion de plaisanteries, cet intermède assure aussi une fonction phatique entre l’énonciateur et le public. Seule la solennité de certains épisodes qui impliquent le silence ou la répétition de quelques syllabes, voire des refrains, prohibe toute intrusion du public.
Le corpus complexe des « Chants de l’Exil »
Le corpus est constitué d’un ensemble de données qui s’entremêlent et complexifient la tradition sacrée du Barldon : l’oral, l’écrit et le champ artistique. Le chant épique subit en exil les soubresauts de l’insularité depuis près de deux siècles ; et le contexte dans lequel s’exerce la production des « Chants de l’Exil » demeure contraignant. Plusieurs expressions artistiques perpétuent le patrimoine ancestral : l’iconographie, la mélodie, la rythmique et le mime. Les pénitents entonnent le récit et d’aucuns miment l’héroïsme d’Arjuna. Le support artistique reste prédominant : outre les mélodies des interprètes et les parodies des voix auxiliaires que rythment cymbales et percussions, l’iconographie des héros déifiés illustre aussi l’épopée.
En nous inspirant des travaux de Paul Zumthor dans sa tentative de simplifier la complexité des situations poétiques de l’oral et de l’écrit, il nous semble bien que les « Chants de l’Exil » illustre une oralité coexistant avec l’écriture en tant qu’ oralité seconde, à savoir elle se (re)compose à partir de l’écriture et au sein d’un milieu où celle-ci prédomine sur les valeurs de la voix dans l’usage et dans l’imaginaire ; aussi sa transmission s’appuie sur une version imprimée qui pallie la défaillance de la transmission orale. Littérature de marché, le livret des « Chants de l’Exil » est vendu dans les échoppes des épiceries à la Réunion. La langue écrite mêle le vocabulaire sanscrit au mot tamoul et elle date du dix-huitième siècle. Cependant le récit est une version en prose qui émanerait d’anciens textes oraux archaïques et versifiés de l’époque médiévale. Aussi la graphie tamoule présente des modifications phonétiques dues aux « liaisons, » les sandhi. La compréhension n’est pas aisée car le poète excelle dans l’art de créer les ambiguïtés en jouant sur les subtilités de la poésie. Imprimé en gros caractères typographiques, ce répertoire épique est lié à une tradition villageoise et à la culture populaire en pays dravidien. La transmission et l’utilisation de ces « Chants de l’Exil » s’ancrent dans l’oralité. L’interprétation se caractérise par une plasticité mineure par rapport au texte, à savoir aucune improvisation n’est perceptible dans la récitation du corpus textuel et il en est de même dans la mélodie et la rythmique. Les récitants à tour de rôle chantent ou déclament à leur guise. Le texte entonné est scandé par une rythmique rudimentaire, et la mélodie est redondante. Véhiculée oralement, sa structure prosodique possède une fonction mnémonique.
Des modifications peu significatives par rapport au texte traduisent l’absence de véritables innovations dans cette tradition orale seconde. Cependant des évolutions liées à l’insertion du créole dans la traduction influencent le corpus. Ainsi observe-t-on ça et là des modifications dans la forme lorsque les références tamoules sont mises en relation avec les réalités locales à l’occasion des traductions et des commentaires des interprètes en langue créole, en l’occurrence au cours des « récits épiques indiens » encore dénommés zistwar barldon.
Des interrogations persistent néanmoins sur l’antériorité entre la tradition orale et écrite. Et l’on se demande sous quelle forme la tradition du Mahabharata est apparue et s’est perpétuée dans l’île ? Au vu de sa popularité, on pense que sa présence même à la Réunion coïncide avec l’arrivée des premiers groupuscules d’Indiens au XVIIIe siècle. On ne peut exclure que cette tradition ait connu une oralité primaire avec les premières migrations indiennes, et ce d’autant plus que les interprètes contemporains intègrent toujours dans leur répertoire lié au Mahabharatades « morceaux composés » par les anciens sans liens explicites avec les supports livresques.
Le Barldon et Vanavarson demeurent une tradition orale vivante et populaire. Auparavant la récitation des corpus épiques était pratiquée par un grand nombre de lettrés. Respectivement désignés par synecdoque kandon et parlvon, la présence du Ramayanaet du Mahabharata au sein des familles témoigne de leur usage depuis les départs en Inde. Néanmoins d’aucuns se seraient efforcés d’acquérir des versions imprimées ultérieurement, soit par le biais d’échanges effectués avec les prospecteurs commerciaux qui opéraient entre les îles de l’océan Indien ou par le retour vers La Réunion de travailleurs rapatriés en Inde. Cependant la culture ancestrale tamoule demeure ancrée dans l’oralité, et le rituel de la « marche sur le feu » perpétue la transmission des héritages à travers une récitation collective du mythe.
Semblable aux pétales séchées et figées dans une édition populaire, le corpus textuel exhale son parfum exclusivement par sa performance. Aussi la densité anthropologique de la communication conjuguée à la remémoration pathétique de l’épopée inscrit le récit dans la littérature sacrée. L’oralité revêt un caractère exceptionnel car les prestations des intéressés demeurent vivaces. On observe peu de spontanéité de la part des interprètes tamoulophones si ce n’est dans la traduction créole et dans le choix des supports utilisés. Le texte n’a pas d’existence en dehors des circonstances religieuses de son émission.
La résistance et l’ascension des Indiens exigeront de maîtriser les pouvoirs surnaturels afin de s’affirmer dans la société coloniale, et pour accompagner le rituel de la « marche sur le feu » les travailleurs indiens ont retenu la tradition qui magnifie la geste des héros de l’épopée. Les textes épiques se différencient cependant de la littérature d’évangélisation. Ils sont empreints de poésie et créent une dynamique quant à la créolisation linguistique. Les histoires du Barldontransposées en zistwar malbar influencèrent les zistwar créoles dont une définition a été donnée par Gillette Staudacher-Valliamee :
« Le mot z’histoire, paramètre littéraire et linguistique de la tradition orale créole, est attesté dans le texte [la Bulle] où il traduit à la fois le français « conte, récit, fable, légende ».
Les résurgences des zistwar malbar dans la tradition orale un tant soit peu fidèles aux corpus textuels tamouls, trouvent surtout leur origine dans les commentaires et les traductions en créole formulés par les artistes ou officiants malbar.
Aussi les zistwar malbar imposent une cosmogonie qui irradie à partir des Koïlou et se diffuse dans les camps de travailleurs. Et d’aucuns, compositeurs des maloya, « des chants en performance », nourris de l’univers religieux des espaces sacrés hindous font resurgir dans l’imaginaire créole les thématiques liées à la marche sur le feu et associent les personnages déifiés du Mahabharata. Nous faisons ici allusion aux poètes créoles descendants de travailleurs malgaches, mozambicains et indiens voire européens à l’instar de gramoun, « esprit » deLélé, Viry et consorts.
Dynamique linguistique de la langue tamoule
La situation linguistique du corpus
Pour lire et comprendre les données traitées ici, le lecteur a besoin d’explications relatives au vocabulaire utilisé par les informateurs créolophones natifs de la communauté malbar lorsqu’ils nomment et commentent les chants tamouls. Dans ce vocabulaire spécialisé, certaines unités lexicales ont été identifiées depuis 1974 dans Le lexique du parler créole de La Réunion. D’autres viennent compléter le fonds réunionnais
. Cinq tendances sont visibles et elles se retrouvent dans notre glossaire : les mots d’origine sanscrite : (S.) ; les mots d’origine tamoule : (T.) ; les mots d’origine tamoule créolisés dans le fonds réunionnais : (T-r.) ; les néologies formées sur l’association entre étymon indien et créole : (I-cr.) ; les mots créoles : (Cr.)
Ces termes en italique correspondent à un inventaire des mots d’origine tamoule que les locuteurs ont conservé dans le vocabulaire créole du rituel.
Lexique
Nous présentons dans l’ordre les noms des personnages divins et épiques, soit vingt-sept items, les lieux, deux items, le vocabulaire religieux, onze items et celui de la littérature, à savoir les termes sur la forme, seize items et sur les intitulés d’ouvrages huit items.
Personnages
Dieux
Brahma (S. ) : Dieu de la création
Muruga (T.) : Fils de Siven
Pèlmal (T-r.) : Dieu Vishnou
Siven (T-r.) : Dieu attribuant l’arme magique à Arjunin
Surya (S.) : Divinité solaire
Vinaryéguel (T-r.) : Dieu éléphant narrataire de l’épopée
Déesses
Dolvédé ou Pañjalé (T-r.) : Epouse des Pandével
Karli (T-r.) : Déesse majeure
Maliémin (T-r.) : Déesse populaire
Salespédi (T-r.) : Parèdre de Brahma
Êtres célestes/esprits
Goulou (T-r.) : Esprit, ancêtre
Rishi Durvasa (S.) : Ermite irascible
Virin (T-r.) : Gardien
Vyâsa (S.) : Auteur du Mahabharata
Personnages épiques
Alvan (T-r.) : Fils d’Arjunin
Arjuna (S.)/Arjunin(T-r.) : Troisième prince, fils d’Indra
Bharata (S.) : Famille indo-aryenne
Darlmèl (T-r.): Aîné des Pandével, fils de Dharma
Kaurava(S.)/korévèl(T-r.) : Famille indo-aryenne
Kuru(S.) : Ancêtre indo-aryen
Pañchala(S.) : Royaume du nord de l’Inde
Pandava(S.)/Pandével(T-r.) : Les cinq princes
Pandu (S.) : « Père » des cinq princes
Pañjali (S.): Fille du roi de Pañcala, Draupadi
Zaguni(T-r.) : Oncle maternel de Tilordilen
Tilordilen (T-r.) : Aîné des kaurava
Yudhisthira (S.) : Aîné des fils de Pandu
Lieux
Kaïlason (T-r.) : Demeure de Siven en Himalaya
Koïlou(T.)/sapel(Cr.) : Sanctuaire hindou
Religieux
Amar-kap (I-cr.) : Entrée dans le temps sacré et consécration à une divinité
Ayével (T-r.) : Titre honorifique ; les cinq
Bakti (S.) : Foi et croyance en Dieu
Kavadi (T.) : Fête religieuse
Mariaz-bondié(Cr.) : Noce entre Arjuninet Dolvédé
Matalon (T-r.) : Tambour à doubles membranes
Mont-tavsi (I-cr.) : Ascension symbolique d’Arjunin
Mourti (S.) : Forme des divinités
Padon (T-r.) : Représentation picturale
Pongol (T.-r.) : Fête de la moisson
Pousari (T.-r.) : Officiant, prête malbar
Terminologie littéraire
Termes
Ammanaï(T.) : Genre littéraire, ballade
Kadaï (T.) : Récit
Kandon (T-r.) : Section du Ramayana
Maha-kavya (S.) : Grande poésie sanskrite
Mandron (T-r.) : Formule sacrificielle
Nalégon/nardégon(T-r.) : Genre théâtral
Parlvon (T-r.) : Section du Mahabharata
Pousari-barldon (T-r.) : Spécialiste de l’épopée
Promié-lané (Cr.) : Chant premier de l’exil ou Surya vanom
Sinnappattu (T.) : Chants de labeur et de vie des engagés
Sloka (S.) : Formule métrique en sanskrit
Vanom (T-r.) : Forêt, étape de l’exil
Le traitement des données
Après une présentation de la phonétique tamoule et les principes de la translittération diacritique nous présentons la démarche adoptée pour le traitement du corpus dénommé étique et sa traduction française.
Linguistique
Phonétique du tamoul.
Voyelles
Le trait horizontal au-dessus de la voyelle indique qu’elle est longue :
a M se prononce comme dans le français âge
u c se prononce ou
è C se prononce oû
e v se prononce é court
ã V se prononce é long
o x se prononce ocourt
¯ X se prononce ô long
aï I note une diphtongue, cf. la terminaison du créole :
[rugay], rougail, type de préparation culinaire
au Xs note une diphtongue
º q; note un son proche de la terminaison du créole [varãg] varangue
c r; se prononce comme la sifflante s ; redoublée, elle se prononcetch. En outre,c sert à translittérer toutes les sifflantes et les palatales des termes empruntés au sanskrit
ñ Q; se prononce comme le gn de pagne
l; ‘rétroflexes’ ; ces consonnes se prononcent comme les
ö z; t, n, l, du français mais avec la pointe de la langue dirigée
 s; vers le sommet du palais
k f; consonnes sonores, plus ou moins équivalentes à g, d, b
t j; lorsqu’elles sont redoublées ou placées à l’initiale, elles
p g; sont sourdes
å w;note le r dur par opposition au roulé
ñ o;; phonème alvéolaire (classe des dentales) et chuintant ; il est
produit par le retrait en arrière de tout le corps de la langue et
par son élargissement, comme dans la terminaison de [tamil]
tamoul
÷ d; nasale bruyante
k / sonorité sourde
Nous avons translittéré le texte tamoul à l’aide des signes diacritiques, conformément aux règles adoptées pour le Tamil Lexiconde l’Université de Madras et aux études philologiques tamoules.
Notation d’un corpus étique
On rappelle que le point de vue étique se fonde sur la catégorie du chercheur et qu’il est emprunté à l’Anglais "phonétic", en Français "phonétique." Cette notion se différencie du point de vue émique qui s’appuie sur une configuration culturelle des informateurs en l’occurrence celle de l’interprète. Nous avons utilisé les polices de caractères : « kamalam » dans l’usage de la graphie tamoule ; et « Times_Norman » pour sa translittération. Trois signes typographiques segmentent les unités : le tiret - marque la séparation des unités linguistiques ; les parenthèses ( ) indiquent les géminations consonantiques : <k>, <t>. Elles restituent la nasalisation labiale <m> et correspondent à l’insertion des glides de liaison <v> ; les crochets [ ] délient les liaisons externes entre les unités <r> et <a> ; <n> et <n> ; <ö> et < ´ >.
Au vu des variations lexicales et grammaticales que présentent les éditions, nous avons mentionné en notes les divergences qui apparaissent avec l’édition de 1989.
La difficulté préalable du traitement linguistique fut l’analyse du texte tamoul figé dans une écriture agglutinée, et l’exercice périlleux visant à rompre les liaisons euphoniques, vocaliques et/ou consonantiques. De surcroît l’absence de ponctuation, l’ambiguïté des figures de signification et de style conjuguées aux archaïsmes grammaticaux ne facilitent point l’analyse textuelle et complexifient davantage le décryptage et son interprétation.
Démarche : du texte tamoul à la traduction française
Le respect scrupuleux de cinq phases essentielles nous permit d’esquisser une traduction à partir du texte tamoul originel : texte dans sa graphie tamoule ; translittération diacritique ; texte translittéré et décrypté ; traduction littérale ; traduction littéraire.
La traduction accompagne le texte source, et nous avons opté pour un compromis entre littérarité et littéralité du vers tamoul référencé en regard. Nous avons souvent dû privilégier la rigueur de la syntaxe tamoule plutôt que favoriser le style en usage dans la phraséologie française. Afin de faciliter la compréhension, nous avons intégré un glossaire en notes infra-paginales. Avant d’expliciter les entrées lexicales, nous mentionnons d’abord la langue d’origine tamoule ou sanscrite puis l’étymon dans sa translittération en phonologie diacritique.
Le corpus de cette tradition mixte appartient au champ des traditions populaires. Ce patrimoine n’a pas fait l’objet d’étude systématique de la part des indianistes qui ont privilégié les études de la grande tradition sanscrite et la littérature classique tamoule. Aussi n’avons-nous pas accédé à des traductions françaises ou anglaises voire même aux commentaires tamouls. En sus de l’état d’une langue ancienne et l’intrusion de mots sanscrits, il nous a fallu déjouer les ambiguïtés de la prose tamoule. Ainsi, il fut périlleux de traduire le chant serait-ce par bribes sans même en avoir une vision intégrale : promié lanédésigne l’épreuve première dans la forêt dit « Surya vanom », et il est impératif pour les Pandével de la surmonter. Nos cinq héros doivent fréquenter les lieux saints et s’attirer bienfaits et protections des forces adjuvantes. Les circonstances de l’exil sont exposées et mises en relation avec le récit de la « Grande (Guerre des) Bharata » ; et surtout Darlmel, l’aîné des fils de Pandu relate à Durvasa,sage « voyant », les malversations de Tilordilen du clan rival à savoir les multiples tentatives pour exterminer les Pandével : tricheries de Sakuni aux jeux de dés ; empoisonnement ; et tentative miraculeusement échouée pour dénuder l’héroïne Dolvédé.
Schéma narratif du « Chant premier », Surya vanom
Nous avons découpé en 14 plages le chant premier constitué de 392 vers, en cohérence avec les prestations artistiques de l’enregistrement ponctuel réalisé en studio.
Seule l’étude globale nous permit de concevoir un schéma quinaire : situation initiale, plages 3-4-5-6, vers 1-78, « l’Angoisse d’un monarque » ; élément perturbateur, plages 7-8, vers 79-120, « l’Intervention du Rishi Durvasa »; péripéties, plages 9-10-11-12-13-14, vers 121-321, « les Jeux magiques de Pèlmal » ;élément équilibrant, plage 15, vers 322-356, « l’Éloge des Pandévèl » ; situation finale, plage 16, vers 357-392, « la Confiance renouvelée »
Illustration
Pandével, Ravine-Creuse (Saint-André)
photographie d’une peinture murale en 19 90
Govindin Sully Santa GERM copyright
Echantillon
Nous traduisons un extrait du chant premier : épisode 4, intitulé les Pénitences de Tilordilen.
1-Texte tamoul
70-G+q;fhtdk;GFe;JGJf;fq;ifePuhb
71-];ehdq;fs;nra;Jrgjk;jhd;Kbj;J
72-epide;Jrptidnew;wpapy;ePu
zpe;J
73-mufuhntd;Wnrhy;ypmzpe;jhd;jPUePW
74-[ye;jd;idf;nfhz;Lepye;jd;idRj;jpnra;J
75-jHg;ghrdk;Nghl;Lj;JhpNahjduh[d;
76-JHthrkhKdptHmUFtuj;jhdpide;J
77-fz;zpuz;Lk;%bf;fUj;jpy;epidj;jhNd
78-mUe;jtRgz;zhNdmutf;nfhbNahDk;
2-Translittération diacritique
70-pèºkavanampukuntuputukkaºkain´rai
71-sna÷aºkaÂceytucapatamtanmutittu
72-ninaintucivanaineååiyiln´raöintu
73-arakaravenåucolliaöintant´run´åu
74-jalantannaikkoöunilantannaicutticeytu
75-tarppacanamp¯utturiy¯tanarajan
76-turvacamamunivararukuvarattaninaintu
77-kaöiraöummèikkaruttilninaittanã
78-aruntavacupaööanãaravakkoiy¯num
3-Translittération diacritique décryptée
70-pèºka-vanam-pukuntu-putu(k)kaºkai-n´[r-a]i
71-sna÷aºkaÂ-ceytu-capatam-tan-mutittu
72-ninaintu-civanai-neååiyil-n´[r-a]öintu
73-arakara(v)enåu-colli-aöintan-t´ru-n´åu
74-jala(m)tannai(k)koöu-nila(m)tannai-cutti-ceytu
75-tarppacanam-p¯u(t)turiy¯tana-rajan
76-turvaca-ma-munivar-aruku-vara(t)ta[n-n]inaintu
77-ka[ö-i]raöum-mèi(k)karuttil-ninaittanã
78-aru(m)tavacu-paööanã-arava(k)koiy¯num
4-Traduction littérale
70-De fleurs/(dans le) jardin/s’introduisant/fraîche/(du) Gange/(dans) l’eau se baignant/
71-Ses ablutions/ayant fait/(d’accomplir) vœux/ses/ayant terminé/
72-En pensant/ à Siva/sur le front/de l’eau/s’ayant mis/
73-« Arakara »/en disant/en répétant/il se frotta/(de) cendre/sacrée/
74-(Et)de l’eau/à lui/emportant/sol/ce/purifiant/
75-Une natte (faite en feuille de telpé)/déposant/le roi Duryôdhana/
76-Durvasa/(le)grand/ascète/à proximité/de venir/précisément/en méditant/
77-Les yeux/(les)deux même/fermant/dans la pensée/il se concentra/
78-Rares/(des)ascèses/il accomplit/(d’un) serpent(l’effigie)/
(cet)homme cruel(et qui porte sur son étendard)
5-Traduction littéraire
70-S'introduisant dans le jardin afin de se baigner dans l'eau fraîche de la Ganga26
71-il prit son bain et termina ses prières.
72-Méditant sur Siven, il s’aspergea le front d’eau
73-puis en répétant : « Arogara ! » se frotta de cendre sacrée.
74-Purifiant l’endroit avec l’eau,
75-le roi Tilordilen y déposa un siège fait d’herbes rituelles.
76-Il médita en sollicitant la venue à sa proximité du grand sage Durvasa.
77-Fermant les yeux, il se concentra
78-et l’homme à l’effigie de serpent, accomplit d’intenses ascèses.
Conclusion
Lire, chanter et traduire le texte tamoul sont des actes liés à la remémoration du Mahabharata qui a survécu à son décentrement dans le temps et dans l’espace. Les corpus perdurent et resurgissent en exil au sein d’une tradition orale mixte qui s’appuie tout autant sur l’écrit que le domaine artistique de la représentation, de l’iconographique et de la musique. Variante régionale d’un modèle sanscrit, la lecture et la compréhension du texte épique est d’une difficulté majeure car son état de langue date de l’époque médiévale. Décrypter les manuscrits exige de déployer des outils conceptuels inédits dans l’aire linguistique créolophone qui relèvent de la linguistique, de la philologie et de l’indologie.
De surcroît inséré dans un espace privé confiné au sacré, son champ d’étude est novateur et nécessite pour infiltrer les milieux hermétiques de s’appuyer sur des réseaux relationnels éprouvées. En l’occurrence, les informateurs sont des personnalités aux compétences multiples. Cette étude souligne aussi l’existence d’un personnage clé, le pousari-barldon voire le vartial ; et d’un rite, « la marche sur le feu » dans la perpétuation et la vivacité de la tradition orale.
Notre traduction des « pénitences de Duryôdhana » demeure inédite. Cet épisode est extrait du « Livre de l’Exil » dont les corpus sont à peine évoqués dans les travaux universitaires à La Réunion. Ses versions tamoules et créoles orales font cependant l’objet de dynamiques linguistiques et culturelles dans l’espace de la créolisation.
POUGAJENDI POULAVAVAR ou PUKALENTIPPULAVAR, Pañcapantavar vanavaçam,édité par Ar.Ji.Pati.Kampeni, Venkatramayyar teru. Cennaï, India, 1972.
Cérémonie hindouiste consistant à traverser un brasier de charbons ardents et caractérisée par une phase de contraintes alimentaires et comportementales.
D’après, David, ANOUSSAMY, “L’épopée de Dessingou Raja”, dans, Présence de l’Inde dans le monde, 24 études présentées par Gerry, L’ETANG. Gerec/Puc et L’Harmattan, Paris, 1994, p.277-285.
Josiane et Jean-Luc, RACINE, Une vie paria, le rire des asservis, Inde du Sud, Terre Humaine, Plon/Unesco, Paris, p.418.
5Archives nationales section outre-mer, Aix-en-Provence, carton 406, dossier 3824, article 5 et 8, contrat d’engagement en date du 16 mars 1828, établit à Yanaon.
6 Du sanscrit : Draupadi.
7 Du tamoul : Kappu. « Cette cérémonie marque l’entrée du pénitent dans le temps sacré en le consacrant à une divinité », d’après, Jean, BENOIST : « Lire la marche sur le feu à l’île de la Réunion, ou construire le sens par l’entrecroisement des regards », dans, De la Tradition à la post-modernité. Hommages à Jean Poirier, P.U.F., Paris, 1999, p.161-171.
VILLIPUTTAR (1986) –Villi Paratam, avec le commentaire de Venkata Kirusnayyankarar, quatre volumes édités par Vanati Patippakam, Cennaï. Cf.-Rajagopalachari C. [Mahabharatam]. Texte tamoul, édité par Vanati patippagam, Madras, 1984, 430 p..
VILLIPUTTURAR (1969) –Shri mahaparatam vasanam kaviyam, Vittvan Tankapuram sanmoukkavirayaravarkalal, moutal pakkam, 258 p., irantam pakkam, 234 p., Cennaï.Irattina nayakar ant centavarkal patippikkappettratu.
ARUMAKAKAVAMIKAL (1907) –Shri mahaparata vilacam, avec le commentaire de Irankasami mutaliyar, Cennaï.
Sully Santa GOVINDIN,
Padon & Vanavarson (1992).Collection de 16 cartes postales, « Semaine de l’Inde, Saint-Denis », Éditions le Germ.
Surya Vanom & les chants du vartial
livre et cd sur le premier chant du pandjapandavavanavassam ou le livre de l'Exil, texte bilingue tamoul-français, translittération, traduction, 2001, édition Le Germ.
Paul, ZUMTHOR, « la voix et l’écriture : poésie orale et poésie écrite », chapitre 2, « Mise au point », dans,Introduction à la poésie orale, collection poétique, Seuil, 1983, p.35-37.
Les rimes, les allitérations et assonances conjuguées aux rythmes du vers et de sa mélodie facilitent la mémorisation du chant.
14 Gillette, STAUDACHER-VALLIAMEE, dans, « La Bulle Ineffabilis en langage créole de Bourbon » in Puren, A. et Bonhomme, A. : « Langues et Patrimoine créoles au XIXe siècle » in Cahiers des Anneaux de la Mémoire, n°2. Paris : Karthala, Association des Anneaux de la Mémoire, 2000, p. 221.
Voir les transcriptions de ces récits et leur traduction en français par les anthropologues : -Jean, BENOIST “ L’histoire de Mardévirin ”, dans, Hindouismes créoles, Mascareignes, Antilles. Editions du Comité des Travaux historiques et scientifiques, Paris, 1998, p.281-288 ; Christian BARAT, -« Histoire de Pakarsoulin », p.229-238 ; « Histoire de Alvan », p.240-253, dans, Nargoulan. Culture et rites malbar à la Réunion. Saint-Denis, Editions du Tramail, 1989.
Firmin, VIRY, Mon sario la miser, dans,Christian BARAT, 1989, Op.cit., 191-192 ; GRAMOUN Lélé, Kondion nielpou , dans, La chanson réunionnaise : une approche sociolinguistique, sous la direction de L.J.Calvet, 1995, tome 3, p.690-691 ; Narlgon, de Danyèl, WARO, dans, “ Démavouz la vi ”, p.84-85, collection Farfar liv kréol, Grand Océan, 1996.
Robert, CHAUDENSON, Chapitre VI, « l’apport portugais, indo-portugais ou indien », 1974, 2 volumes, Paris, Champion.